Réalité historique, la dimension amazighe en Algérie a, pendant longtemps, été occultée, rejetée, voire même combattue. Le long combat identitaire, depuis avril 1980, a fini par payer, et la reconnaissance de cette dimension est aujourd'hui une réalité. Se pose alors la question de sa promotion et de son épanouissement. L'officialisation de tamazight a un an. En 2016, l'Etat inscrivait la langue des Algériens, plusieurs fois millénaire, dans la nouvelle Constitution. Elle est consacrée langue officielle au même titre que l'arabe qui demeure, elle, cependant «langue officielle de l'Etat». Dans l'article 4 de la loi fondamentale, l'Etat s'engage à œuvrer pour sa promotion et son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. Aussi, il est créé une académie algérienne de la langue amazighe, placée auprès du président de la République. Un acquis ? En réalité, cette évolution sur le plan constitutionnel est diversement appréciée. Si, au plan officiel, on se plaît à rappeler, en toutes occasions et toutes circonstances, que cette consécration mérite d'être citée comme une avancée historique, beaucoup, par contre, ne manquent pas de souligner le caractère «artificiel» d'une décision que semblent dicter les seuls impératifs politiques. Pour Rachid Oulbsir, chercheur, romancier et éditeur, «le désenchantement est total chez des pans entiers de la population». Impliqué directement dans le mouvement associatif, Oulbsir sillonne la Kabylie depuis déjà plusieurs mois. Il a animé des dizaines de conférences sur le patrimoine immatériel kabyle, la culture et les mythes fondateurs amazighs. Ce militant passionné de culture parle d'une population qui doute fortement des mesures prises par les autorités pour la promotion de tamazight. «La déception est aujourd'hui palpable et perceptible dans les milieux associatifs qui ne ressentent pas l'officialisation de tamazight comme une avancée puisque, sur le terrain, ceci ne leur a rien apporté», confie-t-il. Pour lui, la population attend encore des preuves. «Les gens que je rencontre lors de mes conférences me disent souvent que les mesures prises ont tout l'air d'un leurre. Ils attendent de voir le tamazight écrit utilisé dans les institutions qui incarnent la réalité du pouvoir». Tant que cette langue n'est pas utilisée au niveau de l'armée, de la gendarmerie, des tribunaux, de la douane, des échanges commerciaux, on ne peut croire à une véritable officialisation, ajoute-t-il. De plus, «absente dans l'étiquetage des produits manufacturés, dans les enseignes de commerce, dans les logos publicitaires…l'on ne peut en aucun cas parler d'évolution». Notre interlocuteur fait remarquer en outre que les gens sont échaudés depuis 2002, date de la promotion de tamazight langue nationale. «Qu'est-ce qui a été fait en 15 ans ? me demandent-ils»? Un enseignement au rabais Idem pour ce qui est de l'enseignement. Ce dernier, estime Oulbsir, n'intègre pas la réalité quotidienne et sociologique des populations. «Comment peut-on s'engager dans l'enseignement de cette langue en occultant les mythes fondateurs amazighs ? Les savoir-faire et les arts berbères ne sont aucunement traduits dans les différents enseignements dispensés à l'université et à l'école qui fonctionnent en vase clos. Elles n'ont aucune bretelle avec la réalité du pays», déplore encore notre interlocuteur. Le manque d'engagement et de volonté des autorités s'exprime également dans le domaine de l'édition. Sur ce plan, Amar Ingrachen, directeur des éditions Frantz Fanon, parle d'une double crise : celle qui touche le secteur du livre en Algérie en général et celle identitaire qui maintient tamazight dans une certaine marginalité. Selon lui, «le livre amazigh ne représente un centre d'intérêt que pour ceux qui en sont directement concernés, à savoir les auteurs, les éditeurs et, à un degré moindre, le lectorat traditionnel qui s'est constitué spontanément au fil des ans». «Je parle de spontanéité parce que tous les acteurs censés s'impliquer dans la promotion du livre et la création de nouveaux lectorats, à savoir les médias, les institutions en charge de la culture, les universités et les écoles sont très peu présents», regrette-t-il. «Abandonner au hasard des conjonctures, le livre qui, de mon point de vue, représente le vecteur le plus fiable et le plus noble de la culture et des savoirs, est un forfait qui ne sera pas sans préjudice pour le pays». Egalement journaliste, Ingrachen ne manque pas de relever un certain ostracisme appliqué par les autorités sur tamazight et dont les effets finiront par avoir un coût certain. «En plus de souffrir (le livre) du handicap de la marginalisation, il y a le sentiment d'insécurité que génère l'ostracisme officiel dont fait l'objet tamazight et qui fait que, parfois, même ses locuteurs natifs n'y voient pas le meilleur moyen d'expression et/ou d'accès à la culture et au savoir». Pour sortir le livre amazigh de cette situation peu reluisante, l'urgence, estime le journaliste, est de «libérer tamazight des carcans revendicatifs identitaires, l'exorciser des démons culturalistes et régionalistes qui l'habite,t et l'installer sur l'universelle voie du doute, de l'émotion, de l'interrogation et de la libre réflexion. En dehors d'une pareille perspective, elle n'aura pas, à mon avis, d'avenir».