En ordonnant ce week-end le déblocage immédiat des marchandises en souffrance dans les zones sous douane, le président de la République aura jeté une autre pierre dans le jardin de son Premier ministre, à l'origine de cette mesure dommageable pour l'économie. Du coup, Abdelmadjid Tebboune, qui partait avec les faveurs présidentielles et le soutien de larges secteurs de la classe politique et de l'opinion, se retrouve sur la défensive. Un paradoxe très algérien où le sort et la réputation d'un responsable tiennent finalement à rien. Et pour compliquer un peu plus l'équation à plusieurs inconnues du Premier ministre, son voyage à Paris ne fut pas de tout repos. Déjà que le choix de cette destination très sensible, a fortiori pour un chef de l'exécutif, paraît pour le moins hasardeux. Compte tenu de la sensibilité de la France à laquelle on prête, à tort ou à raison, une volonté de fourrer son nez dans notre cuisine politique interne, Tebboune aurait été mieux inspiré d'aller bronzer ailleurs. Facteur aggravant, cette rencontre informelle avec son homologue français, Edouard Philippe, est tombée comme un cheveu sur la soupe bien amère d'un Premier ministre qui a maladroitement aggravé son cas. Qui ne se souvient en effet du fameux voyage en France de l'ancien chef du gouvernement, Ali Benflis, en 2003, quand l'Elysée lui déroula le tapis rouge présidentiel ? La réponse fut cinglante. Dans la peau d'un virtuel candidat contre M. Bouteflika, Ali Benflis n'avait pas tardé à être débarqué. Il fut déclaré illico presto hors jeu. Abdelmadjid Tebboune est-il dans cette posture de quelqu'un qui commence à croire en son étoile ? Rêve-t-il d'un destin national maintenant qu'il dispose d'une parcelle de pouvoir qui, penserait-il, pourrait lui servir de rampe de lancement pour 2019 ? Certes, le pedigree politique de l'homme écarte cette perspective en ce sens que le soutien de Tebboune à Bouteflika ne s'est jamais démenti. Mais l'ivresse des hauteurs et du pouvoir donne parfois des idées au point d'en perdre la tête. En l'occurrence, les dernières embardées du Premier ministre fermement recadrées par le président de la République, suggèrent, tout au moins, qu'il y aurait un petit quelque chose qui ne tourne plus rond. Autre indice : Abdelmadjid Tebboune bénéficie curieusement du soutien inespéré de certains milieux politiques et médiatiques prétendument opposants, les mêmes qui nous le présentaient jadis comme un père Noël… Il est vrai que la politique-fiction est une spécialité maison. On a les principes qu'on peut en fonction de nos convictions flottantes. Bien qu'il fasse partie intégrante de ce qu'on appelle le «régime» et qu'il soit un membre à part entière et fidèle de l'équipe présidentielle, il est rapidement adoubé, y compris par les promoteurs de la «transition démocratique». Leurs relais sur les réseaux sociaux redoublent de critiques et d'affliction contre le sort réservé à Tebboune par le président Bouteflika. En lisant leur littérature effarouchée, on croirait presque qu'il est un Premier ministre issu de l'opposition ! C'est à tomber à la renverse face à ce concert de soutiens sans doute intéressés et les pleurnicheries de certains qui voient en lui le Rambo qui va débarrasser l'Algérie des corrompus et de la corruption. Abdelmadjid Tebboune peut-il vraiment être un redresseur de torts ? Ses nouveaux soutiens le pensent. A tort ou à raison. Or, dans ce contexte difficile, l'Algérie a plus besoin de sérénité que de ce genre d'intrigues qui alimentent des scénarios invraisemblables. Le Premier ministre se doit d'appliquer la feuille de route du président. Ni plus ni moins. Dans le cas contraire, il sait ce qu'il doit faire. Cela s'appelle l'éthique politique.