Dans la guéguerre qui déchire les clans au sommet du pouvoir, des zones d'ombre persistent. Comme dans tous les régimes opaques, celui qui gère les affaires de l'Algérie reste impénétrable et seuls les proches du palais peuvent accéder à certains codes indéchiffrables pour le commun des Algériens. Mais dans cette joute où les moyens de communication conventionnels laissent place à l'intrigue, les attaques au-dessous de la ceinture et à l'énigme, il y a un élément-clé que chacun essaie de tirer vers soi. Les deux principaux protagonistes — incarnés publiquement par Abdelmadjid Tebboune d'un côté et Ali Haddad de l'autre — se réfèrent tous à un même homme : le président Abdelaziz Bouteflika, quasiment absent de la scène publique depuis les élections législatives du 4 mai dernier, qui est au centre du débat. Et à chacune de leurs sorties, les deux clans se disent être «envoyés» par le Président. Tebboune clame à tous ses visiteurs que «c'est le Président qui m'a demandé de séparer l'argent de la politique». Haddad et ses soutiens sont également formels : «Nous soutenons le président de la République.» Pis, un autre seuil a été franchi mardi, avec la publication de cette instruction — que personne n'a vue en réalité — qui sonne donc comme un rappel à l'ordre «du Président» au Premier ministre. C'est la première fois que les services de la présidence de la République communiquent de la sorte. Le nom du Président est cité. Mais à aucun média officiel il n'a semblé utile de reprendre l'information. Dans ce capharnaüm estival, qui ressemble plus à un vaudeville, les services du Premier ministre usent pratiquement du même procédé. Lors de la rencontre entre Abdelmadjid Tebboune et son homologue français, Edouard Philippe, les services du palais du Docteur Saâdane ont indiqué que la rencontre a eu lieu «à la demande» du responsable français. Mais à aucun moment ils n'ont fait référence à une quelconque instruction présidentielle. Comme le clan Haddad, Abdelmadjid Tebboune a utilisé les «fuites» organisées pour dire aux Algériens que «c'est sur ordre du Président» qu'il s'est rendu en France pour rencontrer le Premier ministre français. A-t-il reçu l'ordre de se rendre en France pour une «rencontre informelle» ? A ce stade, les deux parties semblent ne plus s'accommoder des formes. Seule la référence au chef de l'Etat les intéresse. Ces guerres des tranchées qui se font au nom et autour de Abdelaziz Bouteflika remettent au goût du jour les interrogations qui entourent la réalité du pouvoir présidentiel depuis au moins l'élection de 2014. Vacance du pouvoir ? Une succession de couacs, de communications hasardeuses et de chaos institutionnels confirme les craintes exprimées par certains hommes politiques qui ont toujours mis en évidence le risque d'une vacance du pouvoir. En effet, Ali Benflis et Louisa Hanoune ont alerté l'opinion publique sur le risque de voir la présidence de la République sans véritable chef. Le pouvoir suprême risque de «tomber entre les mains d'acteurs non constitutionnels», avait en effet affirmé, à plusieurs reprises, l'ancien Premier ministre. La secrétaire générale du Parti des travailleurs, elle, a évoqué, durant l'année 2015 notamment, une possible «prise en otage» de l'institution présidentielle. «Lorsqu'on est diminué par la maladie et qu'on ne peut pas se déplacer, on devient tributaire des autres. On peut lui présenter une revue de presse tronquée pour lui faire lire ce qu'on veut», avait déclaré Louisa Hanoune dans un entretien à El Watan, en 2015. Elle avait même estimé que le chef de l'Etat était «pris en otage par une clique». «Que peut attendre notre pays de constructif d'une vacance du pouvoir que des forces extraconstitutionnelles, c'est-à-dire des groupes d'intérêts, d'influence et de pression s'empressent de combler en fonction de leurs seuls soucis et de leurs seules préoccupations ?» s'était interrogé Ali Benflis à l'automne 2015. Plus de deux ans après ces déclarations, la situation ne semble pas avoir changé. De la nomination de deux ministres des Affaires étrangères, à la lutte que se livrent les clans du pouvoir actuellement, en passant par l'épisode de la nomination, suivie du limogeage de l'ancien ministre du Tourisme en juin dernier, l'absence de la communication du chef de l'Etat laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Pis, pendant que son nom est associé à beaucoup d'annonces et d'initiatives, la parole présidentielle se limite désormais aux messages épistolaires que lisent ses conseillers lors de certaines dates historiques. Les décisions annoncées en son nom sont désormais sujettes à spéculation.