La Syrie s'est offert le droit de rêver : participer au premier Mondial de son histoire. Et ce, à condition de bien négocier les barrages. Une victoire en soi pour une sélection qui s'est préparée dans un contexte politique et sécuritaire chaotique. À défaut de s'être directement qualifiée pour la Coupe du monde 2018, la sélection syrienne, 80e au classement Fifa, peut encore espérer aller en Russie. Au bout d'un match haletant, disputé mardi 5 septembre à Téhéran, elle s'est offert un ticket pour les barrages de la zone Asie, grâce un match nul contre l'Iran (2-2), arraché dans les arrêts de jeu. Pour disputer le premier Mondial de son histoire, la Syrie devra encore remporter dans un premier temps la double confrontation contre l'Australie, en octobre. Puis, en cas de succès, elle disputera un deuxième barrage aller-retour, prévu en novembre, contre l'équipe arrivée en quatrième position de la zone Concacaf (Confédération d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes), à l'heure actuelle les Etats-Unis. Quelle que soit l'issue finale de leur épopée, au-delà de l'exploit sportif, cette équipe, qui a survécu à deux phases de qualification, notamment dans un groupe relevé (avec des pointures continentales comme l'Iran et la Corée du Sud, et des outsiders comme la Chine et l'Ouzbékistan), a fait montre d'une résilience à toute épreuve. Un vecteur de propagande Cette performance aura surtout eu le mérite de replacer la Syrie sur la carte du football mondial, et d'unir, le temps des matches, la grande majorité des Syriens, partisans ou opposants au régime de Damas. Une victoire en soi pour une sélection qui s'est préparée dans un contexte politique et sécuritaire chaotique dans un pays ravagé par 6 ans de guerre. Un conflit syrien qui a vu des centaines de footballeurs, des amateurs, des jeunes espoirs ou des joueurs confirmés prendre les armes contre ou pour le régime, voire fuir à l'étranger. Les plus talentueux d'entre eux sont partis monnayer leurs services dans la région (Golfe, Irak et Turquie). D'autres y ont carrément perdu la vie, que ce soit aux mains des jihadistes qui honnissent la pratique du football, ou du régime de Damas. Selon des informations relayées par ESPN, le pouvoir syrien serait responsable de la mort d'au moins 38 footballeurs professionnels. Sport le plus populaire dans le pays, le football est historiquement très politisé en Syrie, où il reste immanquablement un vecteur de propagande pro-Assad. Du patron de la Fédération, directement nommé par Damas, en passant par les liens avec certains clubs, ceux de la police (Al-Chorta) et celui de l'armée (Al-Jaïch) notamment, qui ont remporté 9 des 10 derniers titres de champion de Syrie, les faits et gestes des footballeurs internationaux, étroitement surveillés, à l'image des sportifs en Union soviétique, presque tout est contrôlé par le régime. Et dans sa volonté de démontrer qu'il tenait les rênes du pays lorsque son pouvoir vacillait, le régime a maintenu, après une suspension de quelques mois en 2011, l'organisation du championnat national dans les zones gouvernementales. Quitte à organiser les matches à Damas et à Lattaquié, et à réduire le nombre de clubs en raison du chaos sécuritaire. Une sélection divisée La sélection, devenue un enjeu national vital, n'a pas été épargnée par ce contexte particulier. Elle s'est vue contrainte de s'entraîner en Russie et de jouer ses matches à l'étranger (en Malaisie, en Iran ou à Oman), sans que cela ne pèse sur ses résultats. Mais à l'image du pays, l'équipe s'est déchirée à cause du conflit. Bouleversés par la tournure des évènements en Syrie à partir de 2011, certains internationaux ont pris la décision de ne plus porter le maillot national. Par solidarité avec l'opposition, de peur d'être associés aux violences du régime du président Bachar al-Assad, ou d'être instrumentalisés à des fins de propagande. Ironie de l'histoire, les deux joueurs les plus talentueux de la sélection avaient claqué la porte des Aigles de Qassioun - le surnom de l'équipe - tous les deux pour des raisons politiques, avant de changer d'avis et revenir participer à l'épopée des qualifications, en échange de garanties sécuritaires. Le capitaine avait dénoncé le régime Le puissant avant-centre Omar Al-Soma, qui brille en club du côté d'Al-Ahly, en Arabie Saoudite, est l'un d'entre eux. Absent depuis 2012 de la sélection, par solidarité avec l'opposition, il s'est montré déterminant mardi contre l'Iran, en étant impliqué dans les deux buts syriens. Le numéro 9, âgé de 28 ans, a d'abord tiré le coup-franc qui a provoqué l'ouverture du score, puis signé le but de l'égalisation d'une belle frappe croisée. Né à Deïr Ezzor (est), un territoire en proie actuellement à une âpre bataille entre l'armée syrienne et l'organisation de l'Etat islamique (EI), il est définitivement entré dans la légende. Le capitaine emblématique de l'équipe Firas al-Khatib, qui a fait fortune en jouant au Koweït et en Chine, est lui aussi revenu en sélection après 5 ans d'absence. Considéré comme le meilleur joueur syrien de tous les temps, ce redoutable buteur avait ouvertement manifesté son soutien à l'opposition dès 2012, alors que sa ville natale, Homs, subissait les foudres de la répression. Considéré depuis comme un paria par les pro-régime et comme un héros par les opposants, il s'était entraîné en Turquie avec l'éphémère sélection parallèle, créée par l'opposition syrienne dans le but de supplanter l'équipe nationale associée au régime. En vain, faute de reconnaissance par la Fifa. Désormais placé sous haute surveillance, il a expliqué qu'il avait répondu positivement à sa convocation internationale, en mars, par amour de la nation, arguant que sa décision n'avait rien de politique. «L'équipe nationale appartient à tout le monde, à toute la Syrie», a-t-il récemment expliqué à ESPN, alors que son nom divise sur les réseaux sociaux. À moins qu'il ne parvienne à définitivement renverser la tendance en envoyant les siens en Russie.