Les erreurs médicales deviennent de plus en plus fréquentes. De nombreux cas de décès ont été dénombrés ces dernières années, mais les statistiques officielles demeurent en-deçà de la réalité, car les familles des victimes préfèrent lier cela au «mektoub» (le destin), négligeant la thèse de «la main de l'homme». Heureusement que les Algériens commencent à s'imprégner de la réalité en ouvrant les yeux sur les incompétences et même les incohérences existant dans le milieu médical. Selon le conseil de l'Ordre des médecins, plus de 500 plaintes ont été déposées au cours de ces trois dernières années, dont 200 affaires sont encore en justice. Si ce chiffre ne reflète pas l'ampleur du phénomène, il constitue une prise de conscience non négligeable contre les tabous traditionnels. Selon certaines affirmations, pas un seul jour ne se passe sans qu'on n'enregistre dans les blocs opératoires des fautes graves pouvant engendrer des conséquences mortelles. Les maternités battent le record Les services de maternité semblent les plus touchés. Les exemples y sont nombreux, même si les médecins mis en cause évoquent souvent le manque d'organisation et de moyens matériels. Les cliniques privées ne sont pas en reste. Des parturientes, attirées par le confort apparent de ces cliniques, ont souvent, hélas, déchanté : en cas de complications, elles sont évacuées vers les hôpitaux publics, quelquefois trop tard, et leurs chances de survie sont souvent aléatoires. Les gynécologues «s'arrangent» parfois pour imposer une césarienne non nécessaire, d'un apport financier plus élevé et comportant un gain de temps et un minimum de risques. L'exemple le plus édifiant est celui de Lynda, décédée à l'âge de 31 ans des suites d'une césarienne pratiquée dans une clinique privée. Selon le mari, la gynécologue avait oublié de vérifier la tension de sa femme, qui est morte pendant son transfert au CHU de Beni Messous, laissant derrière elle trois jeunes orphelins. Yamina a connu le même sort en choisissant d'aller accoucher dans une clinique «de luxe». Elle aussi est morte suite à une césarienne à l'âge de 28 ans. Le médecin n'ayant pu donner une explication médicale censée, le mari a décidé de déposer plainte et la justice suit son cours. Des erreurs graves en milieu hospitalier Mme Zahia a pour sa part également été mal prise en charge au service de gynécologie de l'hôpital Mustapha Pacha. Opérée d'un cancer de la matrice, elle a atrocement souffert lors de son hospitalisation à cause des négligences des médecins de garde. «Je passais mon temps à chercher un médecin ou un infirmier, mais personne ne répondait et je passais des nuits blanches à cause de douleurs que les médecins ne prenaient pas au sérieux». Et d'ajouter : «Je calmais mon mal par la prise de paracétamol que mes filles me ramenaient. Elles faisaient même le ménage de la chambre, c'était affreux.» Il y a juste quelques mois, deux médecins ont été condamnés dans la même affaire d'accouchement, l'un pour avoir procédé sans raison à l'ablation de l'utérus de la parturiente, et son assistante pour avoir donné au nouveau-né un médicament qui en a fait un handicapé à vie. L'exemple le plus horrible demeure celui de la patiente électrocutée au bloc opératoire du CHU Mustapha Pacha. Plus récemment, une jeune fille s'est retrouvée paralysée suite à une intervention au niveau de l'hernie discale pratiquée dans un centre hospitalo-universitaire d'Alger. Elle s'est réveillée totalement paralysée et souffrant de douleurs affreuses au niveau du dos. On citera également l'exemple de celui qui s'est fait arracher la mâchoire en se faisant extraire une dent de sagesse. Mais sans aucun doute, l'erreur qui a fait couler beaucoup d'encre reste celle enregistrée en juillet 2007 au CHU de Beni Messous, où dix malades ont perdu la vue après un traitement de routine au niveau de l'hôpital. La faute ne provenait pas finalement du traitement comme cela a été avancé au début de l'affaire, mais de la négligence du médecin et de son staff, et ont invoqué l'infection nosocomiale. Le médecin incriminé a été condamné à 6 mois avec sursis, alors que son assistante a écopé de six mois ferme. D'autres exemples encore qui viennent alourdir la liste des victimes d'incompétence, de négligence, de mépris ou tout simplement de manque de moyens, comme l'expliquent souvent les médecins. Des contraintes lourdes Contacté par nos soins, le Dr Amine, chirurgien au CHU Mustapha Pacha, a affirmé que les contraintes que rencontrent les médecins, spécialement ceux qui font la garde, sont la source de la plupart des erreurs médicales. Selon lui, les médecins de garde sont surchargés, ont des horaires impossibles, ce qui peut fausser leur concentration et même la maîtrise de leurs gestes. Selon lui, les médecins résidents sont souvent appelés à assurer le service de la journée après toute une nuit de garde, ce qui ne leur facilite pas la tâche, sans oublier le nombre de malades que l'hôpital Mustapha accueille quotidiennement. Il avoue cependant l'incompétence ou la négligence de certains – rares heureusement – et «leur mépris de la souffrance humaine». Il citera l'exemple du cancer du rectum, qui nécessite un toucher rectal. Mais certains médecins, au lieu de ce geste qui peut être salvateur, préfèrent expliquer les saignements (symptômes de la maladie) par la présence d'hémorroïdes et prescrivent des traitements de longue durée, laissant la maladie progresser. Le Dr Amine estime toutefois que «les erreurs en Algérie sont maîtrisables» par rapport à celles enregistrées dans les pays développés où s'exerce la chirurgie de pointe, dont les erreurs ne pardonnent pas. Selon lui, «c'est tout le système de santé qui doit être revu». Selon le docteur Salah Laouar, l'erreur médicale est mondiale. Cependant, il ne faut pas faire l'amalgame entre l'erreur médicale et la faute médicale. Cette dernière n'est pas pardonnable et peut venir de l'incompétence des praticiens, alors que l'erreur est pardonnable tant qu'elle n'est pas volontaire. Le conseil de l'Ordre des médecins a pour raison d'être la défense des malades qui estiment être victimes de négligence ou d'incompétence, sans pour autant oublier ce qu'on appelle «le droit à l'erreur» du médecin, car aucun praticien n'est à l'abri de ce genre de mésaventure.