Depuis le démarrage effectif des gros chantiers de l'Ansa, l'agence en charge de la réalisation de la nouvelle ville de Sidi Abdallah, et l'entrée en production de quelques usines, les choses se sont nettement améliorées à Rahmania, qui était considérée jusqu'en 2008 comme la commune la plus pauvre de la wilaya d'Alger. Aujourd'hui, Rahmania n'est plus un boulet pour la wilaya, ses recettes fiscales passant d'un milliard de centimes en 2007 à plus de 7 milliards de centimes cette année, et ses citoyens trouvant facilement à s'employer. Juchée sur les collines du Sahel algérois, sur les terres de ce qui fut le domaine agricole socialiste Boussalem, Rahmania a vécu depuis sa création, en 1984, aux crochets de la wilaya d'Alger. Zone rurale par excellence, où se pratiquait la viticulture, quelques cultures saisonnières et l'élevage bovin, l'APC ne bénéficiait d'aucune entrée fiscale, et ses maigres ressources ne lui permettait même pas d'assurer la paie de ses propres employés. Chaque année, un budget lui est alloué par la wilaya pour des opérations d'entretien du parc matériel, la gestion des écoles, le ramassage des ordures et quelques menues dépenses pour l'achat de consommables. Paradoxalement, les choses se sont aggravées lorsque, à l'instigation du gouvernorat d'Alger, les terres agricoles entourant la ville ont été rachetées par l'Ansa, l'agence de la nouvelle ville de Sidi Abdallah, mettant du coup un terme à toutes les activités agricoles. Situation qui a généré un énorme problème de chômage et, surtout, l'impossibilité d'entrevoir la moindre extension du village. Encerclé de toutes parts par les terres alentour, devenues propriété de l'Ansa qui y a projeté nombre d'investissements dans son plan d'urbanisme directeur, Rahmania ne pouvait faire face à l'accroissement naturel de sa population. Où construire ? C'est la question que les autorités de la wilaya déléguée ont feint d'ignorer, axant leurs priorités sur la matérialisation de la mégapole de Sidi Abdallah qui empiète sur une grande partie des terres de Mahelma et la totalité du territoire de Rahmania. Mais le problème ne pouvait être continuellement ignoré. Des velléités d'émeutes ont fait prendre conscience du problème qui reste, selon l'actuel P/APC, «le seul handicap pour la population de Rahmania». Boualem Meddas, élu RND, insiste sur la question, considérant qu'il serait le plus heureux des hommes s'il arrivait à loger ses nombreux concitoyens qui vivent dans d'insoutenables conditions. Des logements sociaux d'abord Dans ce village créé autour d'une ferme coloniale et de l'église Sainte Amélie, probablement la plus vieille église construite durant l'occupation - elle date de 1843 -, les bâtisses n'ont rien de somptueux. Au contraire, beaucoup sont décrépies et nécessitent de gros travaux de ravalement. Plus grave, il subsiste encore un ancien camp de concentration de la SAS, un ensemble de 39 masures où s'entassent plus d'une centaine de familles dans d'effroyables conditions. Des solutions ont été préconisées par toutes les assemblées qui se sont succédé mais aucune n'a été prise au sérieux. M. Meddas avoue qu'il est actuellement impossible de régler le problème selon les procédures habituelles : «Hier, ils étaient 39 occupants. Mais aujourd'hui, les enfants ont grandi, ils ont fondé des foyers et on se retrouve ainsi avec 100 familles qui, toutes, cherchent à obtenir un logement.» Mais quel type de logement ? Le président de l'APC persiste et signe : «Mes concitoyens sont tous de conditions modestes, ils doivent bénéficier de logements sociaux.» Précisant qu'il ne fait pas dans «le populisme». Selon lui, ce n'est que justice rendue à une population qui n'a jamais bénéficié d'un quota substantiel de logements. Seuls quelque 17 heureux fonctionnaires avaient obtenu ce privilège dans les années 1990, les autres avaient dû construire eux-mêmes leurs logis sur des terrains acquis dans les années 1980. Le P/APC sait de quoi il parle : sur la centaine de bénéficiaires de logements sociaux participatifs construits à Souidania, seuls une quinzaine s'est acquittée du premier versement auprès de l'OPGI, soit 84 millions de centimes. «Ils devront ensuite verser 36 millions dans les trois mois qui viennent et 76 autres millions à la réception des clefs. D'emblée, je dirais que le quota de Rahmania est déjà perdu puisqu'une majorité s'est désistée.» Seule consolation pour le moment, la distribution de 24 logements sociaux (à Souidania toujours) à des familles considérées comme les plus méritantes parmi la population locale. Et pour compliquer les choses, l'Ansa s'est mise de la partie en gelant le projet des 50 logements LSP qu'elle a pris en charge. Le chantier est à l'arrêt depuis 2004 et les bénéficiaires, des fonctionnaires de l'éducation et de l'administration locale, ne savent à quel saint se vouer pour, au moins, récupérer la mise de départ. Le problème a été discuté au niveau de la wilaya déléguée de Zéralda, et devant l'incapacité de l'Ansa à honorer ses engagements, le projet sera sans doute transféré à l'OPGI. «J'espère que l'office sera plus sérieux», nous dit un enseignant concerné par le projet. Un plan d'urbanisme à réviser L'extension de la ville est désormais acquise, nous confirme M. Meddas, qui rappelle l'incroyable débauche d'énergie qu'il a déployée avec les autres élus pour que la question soit prise en charge par les autorités de wilaya. «Il était impossible que l'on ne discute pas de ce problème d'autant qu'avec les gigantesques chantiers en cours, il est attendu un accroissement exponentiel de la population», dit-il, expliquant que «raisonnablement, on ne peut encercler le village et le garder dans ses limites actuelles». Une réunion consacrée à ce sujet devait avoir lieu à la wilaya déléguée de Zéralda le lendemain de notre passage. Le plan d'urbanisme directeur (PDAU) de l'Ansa sera revu pour y inclure une zone d'extension de la ville de Rahmania pour les 20 prochaines années. Dans le village, la nouvelle est connue de tous. Les anciens poussent un ouf de soulagement, considérant que l'Etat a enfin pris en compte les doléances présentées par leurs élus. Une revendication «prioritaire» déjà porté à bout de bras par l'ancien P/APC, Ahmed Azzaoui, que nous avons croisé sur notre chemin. Les quelques rares personnes que nous avons rencontrées dans les deux principales rues du village sont unanimes à reconnaître que «les choses se sont beaucoup améliorées». «Sauf ceux qui n'en veulent pas» Depuis la mise en branle des gros chantiers de l'Ansa, on ne voit plus les gens attablés dans les trois cafés du village ou à l'ombre des ficus de la grande place. «Tout le monde peut trouver de l'emploi, sauf ceux qui ne veulent pas», indique le P/APC, qui estime que le problème ne se pose plus dans sa commune. «Les gens d'ici n'ont plus besoin de se déplacer jusqu'à Alger pour dénicher un boulot ; les entreprises recrutent tous les corps de métier, surtout les conducteurs d'engins, les maçons, les électriciens, les manœuvres...» C'est dire que la commune commence à sortir la tête de l'eau. Suffisamment pour prétendre à un statut beaucoup plus enviable que celui de commune assistée. Les entreprises nouvellement installées et celles, plus nombreuses, qui éliront bientôt domicile dans la commune sont une véritable bouffée d'oxygène. Une bouée de sauvetage qui permettra, dans les quelques prochaines années, un développement inimaginable de Rahmania. C'est ici en effet que sera implantée la future Silicon Valley algérienne, c'est là que se décidera le futur technologique de l'Algérie de ce siècle.