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L'impitoyable misère des gens de Rahmania
C'est le plus grand douar de la capitale
Publié dans Le Temps d'Algérie le 31 - 01 - 2010

Rahmania, cette ville qui peine à sortir de son état primitif, ce douar où cohabitent tristement le monde moderne et les résidus de la France coloniale. Le cyberparc d'un côté et le gourbi de l'autre, le contraste est tellement criant qu'il saute aux yeux du commun des mortels. Pourtant, Rahmania est chef-lieu de commune depuis 1984. Vingt-cinq ans ont passé mais la circonscription demeure au stade de bourgade rurale.
Selon le dernier recensement, la commune abrite quelque 7000 âmes, en majorité des paysans. Mais des paysans sans terre, car l'agriculture a laissé place au béton.
La «ville» de Rahmania se résume à un dispensaire, une brigade de gendarmerie, une maison de jeunes, une école primaire, un collège, un bureau de poste, le siège de l'APC, quelques magasins et des centaines de familles à l'étroit dans des bâtisses datant pour la plupart de l'époque coloniale.
Pour l'ensemble des citoyens de la commune, le cyberparc en construction à la sortie sud-ouest du village, c'est ce lieu de haute technologie… qui ne représente rien devant la misère qui ronge les habitants. «C'est un lieu de savoir pour les gens d'ailleurs», a commenté Aziz, natif du village.
Inauguré en novembre 2008, le cyberparc contient deux tours reliées par un dôme en verre. Un centre d'affaires qui comporte une trentaine de bureaux allant de 22 à 50 m2. Des salles dotées des dernières technologies en matière d'informatique et de communication, des salles de réunion qui permettent le transfert de réunion même au-delà de notre pays, à l'aide de la visioconférence. Des bureaux reliés à l'internet à très haut débit.
La sécurité est de mise dans cette enceinte. Pour preuve, toutes les portes s'ouvrent à l'aide d'une puce magnétique codée. Des compteurs d'accès, des détecteurs d'intrusion et de mouvement sont installés dans tout le bâtiment.
La galaxie du futur… sans ses habitants
L'autre face du cyberparc est nommée Hôtel des entreprises. C'est une citadelle en verre qui offre d'immenses espaces aux entreprises algériennes, et uniquement algériennes. Un restaurant 5 étoiles y verra le jour incessamment. Le joyau sera «branché» à une bretelle de l'autoroute Est-Ouest, et une voie ferrée le desservira. Le mètre carré au sein de ce majestueux site est cédé à 1000 DA.
Et Rahmania dans tout cela ? «Rien, nada», réplique Abderrahmane. Ce jeune chômeur a pourtant déposé sa candidature pour un poste d'agent de sécurité depuis deux ans maintenant, mais «rien, nada» pour reprendre ses propos. «La vie à Rahmania est faite de galette et de figues sèches, comme au bon vieux temps, nous récoltons le vent de la région et sa pollution, le reste est offert sur un plateau aux barawia (étrangers)», dit-il, amer et désabusé.
En matière de développement, Rahmania est classée bonne dernière dans le classement des communes d'Alger, la capitale.
Pourtant, trois usines de production de médicaments, dont l'une est spécialisée dans le médicament vétérinaire, une minoterie reprise par un investisseur privé surplombent cette petite vallée, mais aucun citoyen de cette localité ne figure sur la liste du personnel de ces entreprises.
Saïd, furieux, réclame sa part : «Ce sont des usines construites sur nos terres, nos enfants sont tous au chômage pour la plupart, sauf ceux qui travaillent en dehors de la ville et personne ne veut intervenir pour nous rendre justice.»
Mustapha renchérit : «Pourtant, dans l'un de ses discours, le président de la République a mis un point d'ordre sur ce cas justement. Il a dit que chaque investissement qui s'implante dans une commune donnée doit profiter en premier lieu aux enfants de ladite commune.»
Le barrage des douanes !
Bizarre, les douanes algériennes sont présentes à Rahmania ! Dans une ville où tout est multiplié par zéro, il existe quand même un service des douanes ? Non, c'est l'appellation donnée à la place principale du village. Pourquoi ? Evidemment, tout le monde sans exception se retrouve à longueur de journée dans ce lieu, chacun guettant les faits et gestes de l'autre.
Ne dit-on pas que l'oisiveté est mère de tous les vices ? «Aucun citoyen ne passe inaperçu, même le contenu des sachets noirs est connu de tous. Nous sommes là du matin au soir, à n'y rien faire», explique Athmane.
Au moment où nous discutons avec ces jeunes en furie, le camion chargé de gaz butane arrive, des enfants foncent en sa direction, chacun poussant une brouette chargée d'une bonbonne de gaz vide qui dépassent leur poids corporel. Mais ont-ils vraiment le choix ?
Les enfants, comme les grands d'ailleurs, sont tous en bottes en caoutchouc. C'est la mode à Rahmania. Pour Nike, Adidas, Puma et consorts, on attendra. Les quelques logements en construction à l'entrée est de la ville sont restés à l'état de carcasse depuis le début des travaux.
«Les gens n'ont pas d'argent pour acheter, déjà qu'ils ont du mal à boucler les fins de mois difficiles. De là à projeter l'achat d'un appartement…», peste Saïd. «Vous voyez, à quelques kilomètres de la capitale, nous sommes encore sous perfusion, nous cuisinons et chauffons avec du gaz butane. Ça a trop duré et je vous assure que d'ici peu de temps nous allons réagir en occupant la rue», avertit Nabil.
Le café des délices !
Les dominos sont le sport roi à Rahmania, même le maire s'y met de temps à autre, histoire d'être proche de ses concitoyens et partager leur misère. Le travail qu'il a accompli depuis son élection à la tête de l'assemblée communale est jugé acceptable par les citoyens. «Il essaye d'apporter un plus à notre commune, contrairement aux autres P/APC qui se sont succédé», ajoute Mourad.
Les jeunes à Rahmania n'ont rien d'autre à faire, bien que la maison de jeunes leur offre de temps à autre une bouffée d'oxygène. Cette ville qui a beaucoup souffert des affres de la décennie noire continue, malgré les différents plans de développement, de souffrir.
Les causes sont multiples, et si les solutions existent l'application reste loin derrière. Mokrane nous a conduits vers le seul café de la ville qui ouvre le soir à partir de 18h pour fermer vers minuit. «Les jeunes vivent la nuit, c'est incroyable mais c'est vrai.
D'ailleurs, notre sport favori est le jeu des dominos. Le matin et durant toute la journée, les gens sont soit à la ‘douane' soit ils dorment.» Les quelques jeunes rencontrés sont pleins d'énergie et veulent réellement prendre leur destin en main. «Mais avec quoi ?», nous dit Athmane.
«Ce ne sont pas les idées qui manquent mais les moyens. Nous appartenons à la commune la plus pauvre de la capitale, les usines que vous voyez ici ont toutes leurs sièges sociaux ailleurs. Donc, on ne bénéficie pas de leurs taxes.»
La commune de Rahmania recèle des terres agricoles de très bonne qualité, la superficie est importante. Mais ces terres qui enserrent le village, l'empêchant de se développer, appartiennent toutes à l'Ansa, l'agence chargée de la construction de la ville nouvelle de Sidi Abdallah.
Aucun mètre carré ne peut être rétrocédé à la commune qui fait face à une forte demande en matière de logements et équipements sociaux.
Cette situation durera-t-elle combien de temps ? Pas très longtemps en tout cas. Le malaise gagne de plus en plus les habitants et surtout les jeunes qui refusent d'être des parias. La jeunesse aspire à mieux, elle exige que les pouvoirs publics se penchent sur ses problèmes. Sinon ?
«Nous n'allons pas nous laisser faire, et je pense sincèrement qu'on va mettre le feu aux poudres si on continue à nous faire la sourde oreille», menace un groupe d'habitants de l'ex-SAS. «Vivre dans un ghetto ou un gourbi au moment où le pays jongle avec des milliards de dollars, je pense que c'est indécent et à la limite de l'absurde», conclut Saïd, un jeune qui n'en peut plus d'endurer sa situation de «chômeur éternel».


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