Livrer son palais à la fraîcheur vivifiante d'une bonne crème glacée est un plaisir que consomment sans modération les Oranais. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il fasse beau, hommes, femmes et enfants font honneur aux coulis de crème et aux arômes de sorbets, servis par des «glaciers» rompus au métier depuis des années. Depuis la fermeture de la crémerie Byblos de la rue de Loubet en plein centre-ville, d'autres lieux, d'autres adresses ont vu le jour. La crème glacée est un créneau qui a encore de beaux jours devant lui. Depuis la création de plusieurs usines spécialisées dans la fabrication de crèmes, de parfums et d'intrants, le génie des glaciers a explosé pour donner naissance à mille et une préparations. L'apparition d'importateurs qui ont investi le marché a donné un brin de folie au secteur. Ce sont de nouveaux parfums, de nouvelles textures, de nouvelles senteurs qui tentent de séduire les papilles des Oranais. On se rend en famille, en couple ou seul à la crémerie pour faire honneur à une coupe, déguster un sorbet, siroter un panaché, planter ses dents dans le gras d'un esquimau, ou grignoter et râper à coups de langues un corneto craquant, moelleux à souhait. Pourtant, le commerce de la crème glacée n'est pas nouveau à Oran. Mira trône depuis des décennies à l'entrée de la rue Larbi Ben M'hidi (ex-rue d'Arzew). Tous ceux qui ont visité Oran y ont fait forcément un jour une halte. Le local modestement meublé, a bercé des amours, scellé des ruptures, abrité des négociations pour la conclusion de marché, ou servi de lieu de rencontre à des amours pressés de connaître la quintessence des sentiments. Il continue de défendre une image et un statut que tentent de lui ravir de nouveaux lieux et de nouvelles adresses. Le Byblos, un parfum de nostalgie Byblos faisait la joie des enfants de la high society oranaise. On y venait des quartiers huppés de Saint Hubert et sa clientèle était BCBG. On se «sapait» made in avant d'aller s'offrir un après-midi glace au Byblos. Sa disparition au début des années 2000 a laissé en plan une clientèle qui n'a pas encore trouvé de lieu capable d'abriter ses frasques, ses lubies et ses «m'as-tu vu». Les crémeries du square Port Saïd qui font la joie des promeneurs noctambules du boulevard du Front de mer, Cordoue et l'Igloo qui se disputent l'esplanade, se disputent aussi, parfois à coups de poings et de pieds la clientèle pressée de se rafraîchir avant de retrouver les bras de Morphée. C'est une véritable frénésie de goûts et de saveurs qui est proposée à la clientèle. Même les glaces d'importation qui font la renommée des crémeries des Champs Elysées, de Las Ramblas ou des gelaterias de Torino figurent sur leurs cartes aux côtés des traditionnels «hérisson», Banana Split ou coupe vanille Chantilly. «Vous pouvez déguster un esquimau Magnum glacé enrobé de chocolat et couvert d'éclats d'amande et de noisette, fabriqué par Hagen Dasz, pour la bagatelle de 2800 DA», dira un client. Ce prix, rébarbatif pour certains, ne refroidit pas une certaine catégorie de clients. «Ils sont prêts à toutes les folies. Au train où va le marché du change parallèle de la devise, un magnum à près de 3000 DA, c'est trois fois rien pour un émigré venu s'éclater à Oran», affirme la même source. Ces hauts lieux des fins gourmets affichent complet chaque jour que Dieu fait. Parfois on attend durant de longues minutes son tour. Les serveurs sont parfois au bord de l'apoplexie. Le flux de clients ne tarit que très tard le soir. Sur le boulevard du Front de mer, la crémerie Nassim et d'autres petits établissements tentent de proposer un service de qualité et des produits de bonne facture pour gagner une part de la clientèle. «Leurs prix sont abordables et leur crème, surtout à emporter, est succulente», affirme un Oranais qui se dit modéré dans ses «folies». Et la particularité d'Oran est qu'il existe des crémeries pour chaque type de clientèle. Il existe une crémerie pour chaque quartier. Le «Chakori», en pur hamraoui A El Hamri, la crémerie Chakori a gagné sa réputation à force de travail, de sérieux et de qualité. Sa renommée s'est construite grâce au bouche à oreille. Le kiosque qui l'abrite est situé dans une rue bondée, à l'entrée du marché d'El Hamri. «Certes le lieu ne paie pas de mine, mais pour y déguster un cornet de crème, il vous faudra faire preuve de patience et attendre son tour dans la chaîne», dira un client. C'est un endroit qui a réussi depuis des décennies à fidéliser une clientèle issue de toutes les couches sociales. Déguster une glace «Chakori», c'est s'afficher comme un pur Hamraoui. Dans le boulevard Zabana, au rond-point du café Ennadjah, lieu de ralliement des purs supporters de l'ASMO, un kiosque de crémerie attire la grande foule. Ici, on ne déguste pas une coupe ou un sorbet. La spécialité de la maison ce sont les «cornets créponnés», une glace fondante enrichie de zeste de citron naturel. Le kiosque ne désemplit pas, et pour se faire servir rapidement, il faut montrer patte blanche en se faisant adopter par un supporter asémiste. «On ne sert que chachra ouled el djamîya», dira un serveur, l'air enjoué avant de faire remarquer que tous les clients sont les bienvenus bien sûr. Pour ne pas être à la traîne, le quartier d'Es-sedikkia s'est doté de sa crémerie, un lieu où se rencontrent les familles le soir pour se refaire un «bon entrain» avant d'aller se coucher. Ibiza était à l'origine une pizzeria qui a mué avec le temps pour devenir un palais de la crème glacée. Le gérant qui avait remarqué le succès de son entreprise a aménagé une terrasse, où se dressent des tables à l'ombre des platanes et d'eucalyptus. La spécialité de la maison ce sont les panachés et la coupe Ibiza, un mariage de trois boules aux aromes différents enrobées d'un coulis de chocolat et de noisettes, le tout couvert d'une bonne «giclée» de crème chantilly. «Nous proposons des glaces classiques comme le Banana Split, le hérisson ou encore les coupes standard, mais la coupe Ibiza tient le haut du hit-parade», affirme le gérant qui explique cet engouement par le prix relativement accessible de ce produit. Il existe également d'autres lieux à Oran qui proposent des glaces à emporter, comme la Coupole sur le Front de mer, ou encore l'Esquimau en plein centre-ville. Mais ces crémeries ne sont pas les lieux de communion ou de rencontres. On y vient souvent en voiture pour prendre sa bombe glacée, commander un cornet avant de reprendre sa route.