La pression migratoire depuis les pays du Maghreb et du Sahel mais aussi d'Asie a élargi, ces dernières années, la base de la communauté des musulmans en Espagne dont le nombre avoisinerait le million de fidèles. La plus importante est bien évidemment marocaine, environ la moitié de la communauté, en raison de la proximité du pays maghrébin dont les ressortissants préféraient encore dans les années 1970 s'établir en France, en Belgique et en Hollande où les possibilités d'emploi sont meilleures. Mariages intermaghrébins Cette tendance a changé depuis que l'Espagne a fait son entrée dans l'Union européenne au début des années 1980 et qu'en revanche, les conditions de séjour des émigrés dans le nord de l'Europe sont devenues assez draconiennes. La communauté algérienne estimée à cette époque à quelques milliers a, elle aussi, considérablement augmenté pour atteindre les 45 000 résidants légaux. Dans le temps, les Algériens, exclusivement des hommes, utilisaient le territoire espagnol comme base de transit vers la France ou le Canada où ils s'établissaient en famille. Aujourd'hui, comme les Marocains, ils font venir leur famille dans le cadre de la loi sur le regroupement familial ou se marient sur place. Le mariage entre les membres des communautés algérienne et marocaine s'est nettement généralisé, ces dernières années, ce qui a consolidé considérablement la base de la communauté musulmane, en général, et maghrébine, en particulier. Les consulats des deux pays font observer que le contrat de mariage intermaghrébin est un réel succès, contrairement aux mariages mixtes, entre maghrébin(e)s et non musulman(e)s, qui ne durent qu'un temps, avec des conséquences, parfois dramatiques pour le conjoint mâle. En vertu de la loi espagnole, très favorable à l'épouse, le conjoint mâle perd la garde des enfants et son propre logement en toute propriété. Ils ne sont pas rares les Algériens qui se sont retrouvés les pieds devant avec en prime les astuces de l'ex-épouse pour les priver du droit de visite légale hebdomadaire : enfants chez le médecin, en visite chez les grands- parents ou tout simplement silence radio à l'appel téléphonique. Mariages mixtes En plein centre de Madrid, au lieu-dit «Km zéro», point de ralliement des artistes et prédicateurs, un cercle se forme autour de deux hommes, en gandoura et séroual. L'un Espagnol, le teint européen accentué par la blondeur des pays baltiques ; l'autre, également, type européen tout aussi blond fait son prêche avec un accent algérois fort prononcé. Il insiste sur les dangers que comporte le mariage mixte, entre un musulman et un non-musulman. «Choisissez votre compagne dans votre communauté.» La plus belle des Européennes finira par vous quitter», insiste-t-il, laissant la nette impression qu'il parlait en connaissance de cause. Son compagnon l'invite à prononcer la Fatiha, ce que fit le petit cercle, avant de se disperser. Visiblement, la brigade de police espagnole dont le fourgon est stationné à quelques pas de là n'avait pas prêté attention à ce petit rassemblement au milieu d'une foule de touristes. L'Algérois et son compagnon sont passés à deux doigts d'une interpellation qui aurait fait la une des journaux du lendemain. Pour moins que çà, de naïfs barbus se sont retrouvés devant un juge avec une réserve ferme sur le prochain vol sur Oran. Une communauté, deux Mosquées La communauté musulmane se compose aussi de nombreux ressortissants du Proche-Orient. De Syriens, de Libanais et de Palestiniens. A la différence des Maghrébins qui sont pour l'essentiel des ouvriers, les ressortissants du Proche-Orient sont des élites sociales. Beaucoup exercent dans le corps médical ou les affaires, depuis la guerre de juin 1967 qui les a poussés à s'établir en Europe. Souvent mariés à des Espagnoles et Espagnoles eux-mêmes, ils sont parfaitement intégrés dans la société d'accueil. La séparation entre la communauté maghrébine et orientale est nette, y compris dans la fréquentation des deux principales mosquées de Madrid. La plus importante se trouve au niveau du périphérique urbain de la capitale, la M30 dont elle porte le nom. Elle est gérée par les Saoudiens qui ont le plus contribué à sa construction. La seconde, nettement moins luxueuse, située dans le quartier populaire de Tétouan, est fréquentée exclusivement par les Maghrébins. C'est la Mosquée de la M30 qui fait figure de porte-parole officiel de l'Islam en Espagne. C'est elle qui informe les fidèles de l'observation du jeûne et de la célébration de l'Aïd et à laquelle s'adressent les autorités officielles espagnoles. Il y a deux ans, elle suivait au pied de la lettre l'observation lunaire en Arabie Saoudite, même si le croissant a été ou non observé en Espagne. Depuis, elle s'en remet à l'avis des commissions de surveillance de l'apparition lunaire installées, notamment, sur les hauteurs de Grenade. Sous la forte pression du Maroc dont la communauté est la plus importante d'Espagne, le débat s'est instauré, cette année, autour de la désignation par les urnes des membres de la commission de la communauté musulmanes en Espagne, jusque-là dirigée par un espagnol d'origine syrienne, M. Tayari. Les musulmans n'ont pas encore fait le tour de la question où la politique a pris tous ses droits. La «mosquée-cathédrale» de Cordoue La communauté musulmane se compose aussi de convertis, «par milliers ces dernières années», selon des sources musulmanes à Cordoue où se trouve la célèbre mosquée, joyau de l'ère glorieuse de l'Islam en Espagne. Construite par Abderrahman II sur le modèle de la mosquée omeyyade de Damas, elle avait été transformée en cathédrale après la reconquista. Elle conserve toutefois une bonne partie de son architecture d'antan, malgré les transformations — dépersonnalisations introduites par l'Eglise. La communauté musulmane plaide vainement ces dernières années son droit de prier dans la «mosquées-cathédrale», conjointement aux chrétiens, exactement comme cela se faisait dans la synagogue de Tolède où juifs, chrétiens et musulmans priaient sous le même «toit de Dieu». Elle sort au gouvernement espagnol ses propres arguments sur «l'alliance des civilisations», refus catégorique de l'épiscopat espagnol. Une bouée de sauvetage pour le gouvernement. En signe de protestation, l'un des chefs de la communauté musulmane, Mansour Esquedera, Espagnol converti à l'Islam, ira alors prier, seul, aux portes de la Mosquée de Cordoue, devant les caméras des touristes et des journalistes. Une initiative qui soulèvera les foudres de la presse de droite qui voit planer «la reconquête de Cordoue» par les musulmans. Appréciant à sa juste dimension le geste de Mansour Esquedera, qui rehausse le prestige de l'Islam, le petit peuple, profondément enraciné dans ses traditions et les problèmes sociaux de tous les jours, déplore, en revanche, les luttes intestines qui se font jour autour du leadership au sein de sa communauté. Il ne voit pas l'enjeu de ces querelles d'élites. En ce mois du Ramadhan, il continue, à son habitude, à s'approvisionner en produits halal dans la boucherie de son quartier, sans autre discernement que celui de la foi. Qu'importe l'origine du propriétaire. «Marocains, Algériens, Syriens , Libanais ou Palestiniens, ne font-ils pas en fait tous partie de la communauté musulmane, sur lesquels on jette le même regard et qui ressentent la même offense lorsque l'Islam est agressé», fait observer un jeune marocain, de mère algérienne, devant sa toute aussi jeune épouse, une étudiante algéroise.