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Les hésitations de l'Europe
Lutte antiterroriste au Sahel
Publié dans Le Temps d'Algérie le 23 - 07 - 2010

Les ressortissants des pays occidentaux, européens en particulier, sont la cible privilégiée des prises d'otages dans le Sahel, l'une des activités les plus juteuses pour Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui y a établi ses bases arrières.
Pas moins d'une cinquantaine d'otages ont été enregistrés depuis le premier enlèvement médiatisé en 2003, dont une trentaine de touristes allemands dans l'extrême sud algérien, libérés pour la moitié d'entre eux par une unité de l'ANP alors que le reste le sera au moyen de paiement de rançons par Berlin au groupe terroriste de Mokhtar Benmokhtar.
Otages contre terroristes
Ce dernier scénario se répète encore à travers les négociations en cours entre Paris et les preneurs de l'otage pour la libération du ressortissant français enlevé voilà trois mois dans le nord du Niger, et qu'Aqmi menace d'exécuter dans les jours qui suivent. Deux ressortissants espagnols sont dans le même cas. Les conditions posées demeurent les mêmes : le versement de rançons contre la remise en liberté des 67 terroristes emprisonnés en Mauritanie.
Voilà des années déjà que la lutte contre ces nouveaux foyers de terrorisme dans le Sahel a été impulsée sur initiative de l'Algérie et de ses voisins subsahariens, dans la perspective d'un front le plus large contre les groupes d'Al Qaïda pour le Maghreb islamique (Aqmi) qui infestent la région.
Les pays européens hésitent pas à s'impliquer dans cette lutte qui exige beaucoup de moyens contre un phénomène qui est en train d'étendre ses tentacules plus loin encore que les limites est du Sahel pour faire jonction avec la Corne de l'Afrique.
Là-bas, les Européens ont engagé sans hésitation une impressionnante force militaire commune contre la piraterie qui menace 40% du volume de leur marchandise qui transite par cette partie de l'océan indien. Porte-avions et navires de guerre sillonnent le golfe d'Aden.
Toujours prompt à emprunter toutes les voies possibles pour solutionner le problème de ses ressortissants pris en otages par les pirates ou les terroristes, ou pour sécuriser ses routes commerciales maritimes en Irak ou en Afghanistan, l'Union européenne traîne les pieds lorsque la contribution attendue ne se situe pas dans le prolongement de ses intérêts géostratégiques.
Le Sahel ne représente plus le même intérêt pour les pays du vieux continent depuis la fin de l'ère coloniale, sinon pour tenter de freiner à la source la pression migratoire subsaharienne ou pour préserver la vie de leurs ressortissants qui s'aventurent dans cette zone peu sécurisée.
De la Somalie au Sahel
Les Etats-Unis, eux, sont les premiers à avoir pris conscience que le phénomène terroriste revêt une dimension planétaire et tiré les leçons des attentats du 11 septembre 2001.
Depuis cette date, Washington a mis en place une stratégie pour apporter aux petits Etats de la région sans grandes ressources économiques et financières, un soutien logistique pour leur permettre d'affronter un ennemi autrement mieux préparé et mieux équipé en armement sophistiqué et qui élargit sans cesse son champ d'action pour frapper là où c'est possible de le faire, de la Somalie jusqu'au Sahel dans un même ensemble où se multiplient les bases-relais pour des actions terroristes des plus spectaculaires.
Le 11 juillet, l'organisation terroriste de Oussama Ben Laden avait choisi l'occasion de l'événement le plus médiatisé, la finale de la coupe du monde de football qui se jouait à Johannesburg pour planifier une série d'attentats aussi meurtriers les uns que les autres. Ces attentats ont ciblé plusieurs salles de spectacles et de restaurants archicombles à Kampala pour la transmission de la rencontre Espagne-Hollande.
Al Qaïda a ciblé la capitale ougandaise faute d'avoir pu planifier des attentats autrement plus meurtriers dans l'un des grands stades sud-africains où la sécurité, à l'occasion, était de rigueur. Son objectif était de produire le plus grand effet médiatique international à travers une action qui aurait fait un maximum de dégâts humains et matériels devant toutes les caméras de la planète.
La série d'attentats de Kampala qui a fait quand même plus de 70 morts et un nombre indéterminé de blessés visait officiellement à punir le gouvernement ougandais pour sa participation à la lutte en Somalie contre les groupes terroristes d'Al Shabab.
Piraterie, drogue, immigration, trafic d'armes
L'ouverture d'un nouveau front du terrorisme islamiste international dans la Corne de l'Afrique entre dans la nouvelle stratégie d'Al Qaïda de s'implanter dans les zones les plus instables du continent où elle a déjà mené une dizaine d'attentats meurtriers depuis les attaques contre les ambassades des Etats-Unis et de Dar Salam en 2000.
Soumise à la forte pression des armées alliées dans son fief en Afghanistan, aux coups de l'armée pakistanaise et perdant pied progressivement en Irak, Al Qaïda entend, à terme, s'implanter durablement en Afrique. Plus concrètement sur les routes de la piraterie, de l'immigration clandestine, du trafic d'armes et de drogue, dans des régions où règnent l'insécurité, les conflits ethniques, l'instabilité politique et la misère sociale.
Une somme de facteurs divers dans la terre de personnes qui favoriseraient, à terme, son implantation dans une autre zone composée du Sénégal, du Nigeria, du Soudan et de l'Ethiopie, non moins infestée de groupes terroristes par endroits et où activent des imams pakistanais bien formés.
L'enjeu de ce redéploiement, c'est le contrôle de tout le Sahel. L'espace le plus convoité qui s'étend sur 4 millions de kilomètres carrés depuis pratiquement l'océan indien où la piraterie et le terrorisme islamiste font du coude-à-coude sur fond de conflits ethniques jusqu'à la partie atlantique de l'ouest africain où le trafic de drogue et les prises d'otages de ressortissants de pays occidentaux contre paiement de rançons font bon ménage.
Au Sahel, l'organisation terroriste islamiste ne se livre pas directement au commerce de la drogue, une activité qu'elle considère illicite d'un point de vue religieux.
Les groupes terroristes de Mokhtar Ben Mokhtar n'en assurent pas moins le transit vers l'Europe, moyennant une contrepartie financière, des convois de trafiquants de haschich en provenance du Maroc par voie terrestre ou de quantités extraordinaires de cocaïne depuis l'Amérique latine par voie maritime, voire même par voie aérienne, grâce aux pistes d'atterrissage naturelles dans le désert du Sahel.
Comité opérationnel commun à Tam
La multiplication des attentats, comme à Tinzaouatine, apporte la preuve que Aqmi tente de récupérer les bases qu'elle a perdues au Nord grâce à la pression de l'Algérie qui a réussi, récemment, à impulser la coopération militaire régionale contre cette organisation terroriste.
Avec ses voisins du sud (Libye, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad), elle a réussi à organiser avec succès, en mars, la première réunion des sept pays sahélo-sahariens à Alger où a été adopté un plan d'action contre les activités d'Aqmi.
Cette réunion avait ouvert la voie à la mise en place, dans un premier temps, d'un comité militaire opérationnel commun entre l'Algérie, le Mali et le Niger, dont le siège est à Tamanrasset. Principale puissance économique et militaire de la région, l'Algérie qui a une longue expérience dans la lutte antiterroriste a réussi donc à mettre en place avec ses voisins du Sahel un plan d'action pour coordonner la lutte contre Aqmi au-delà de ses frontières.
Selon un «diplomate occidental» en poste à Alger «c'est le pays le mieux placé pour assurer la coordination de la lutte contre Al Qaïda dans la région qui ne peut se faire de manière séparée sans risque de voir le terrorisme menacer d'autres parties de la région».
L'allusion ici est claire : ni la sécurité des pays voisins du Maghreb (Maroc et Tunisie), ni celle de l'Europe du sud n'est garantie si le phénomène terroriste, chose improbable au regard du rapport de force sur le terrain qui est nettement à l'avantage de l'armée algérienne, parvenait à reprendre pied dans le nord de l'Afrique.
Recul de la menace sur l'Europe ?
Les experts internationaux s'interrogent, par conséquent, sur l'absence d'engagement sur ce terrain de l'Europe dont les gouvernements ne prennent conscience du danger que représente l'islamisme radical pour leur sécurité que dans les situations de prises d'otages de leurs ressortissants où lorsque leur pays est ciblé directement.
Le président Sarkozy vient d'exprimer sa grande «inquiétude», non pas pour la tentative d'Aqmi de reprendre pied dans l'extrême sud algérien ou en Mauritanie, mais à la suite de la publication d'un ultimatum de 15 jours par Aqmi qui menace de cibler son pays et de commencer par exécuter le ressortissant français entre ses mains.
Pas une seule allusion à la collaboration de la France avec les pays du front contre Aqmi. Dans ce même esprit, le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, poursuit ses incessantes démarches auprès de la Mauritanie et du Tchad pour demander l'aide de ces pays à la libération des deux ressortissants espagnols aux mains de Aqmi depuis le 29 novembre 2009.
L'Espagne, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche ou la Belgique se montrent curieusement aussi discrets que la France sur la question de la coopération régionale pour empêcher cette organisation terroriste de s'établir durablement au Sahel.
L'attitude passive des pays européens pourrait s'expliquer, en partie, par leur engagement déjà en Afghanistan contre ce même phénomène où leurs pertes en vies humaines sont importantes. En plus, l'idée répandue, aujourd'hui, est que le terrorisme est en net recul au Maghreb.
Le professeur britannique Omar Ashour semble confirmer cette vision dans une récente conférence donnée à l'université de Séville, sur les cibles privilégiées d'Al Qaïda en Europe. Le conférencier croit savoir que «l'implantation des réseaux terroristes islamistes en Espagne est en diminution» et que «la menace terroriste islamiste sur le territoire espagnol est minime».
Il ne croit donc pas qu'un attentat terroriste similaire à celui du 11 mars 2004 de Madrid puisse se reproduire en Espagne mais ne l'exclut pas. Le professeur soutient que la revendication d'Al Andalous «n'a jamais figuré parmi les objectifs» de cette organisation terroriste qui a utilisé cette question plutôt à des fins de «propagande» depuis l'invasion d'Afghanistan et d'Irak par les Etats-Unis.
Même s'il n'exclut pas la possibilité qu'Al Qaïda cible des pays comme la France et le Royaume-Uni, en plus des Etats-Unis, bien sûr, il laisse entendre que ces craintes ne sont pas suffisantes pour décider les gouvernements européens à s'impliquer par un appui logistique conséquent aux côtés des pays du Sahel.
Grâce à l'action de l'Algérie
Certains experts occidentaux de la lutte contre l'islamisme radical font observer que la diminution de cette menace est le résultat de la pression mise par l'armée algérienne sur les foyers du GSPC, devenu Aqmi, dont il ne reste que quelques résidus dans le nord du pays, donc ne représentant aucun danger potentiel pour les pays de la rive nord de la Méditerranée.
Grâce à l'action soutenue des forces de sécurité algériennes «la violence a reculé dans environ 20 pays» de la région du nord de l'Afrique et du monde arabe, estiment ces mêmes sources.
L'action antiterroriste de l'Union européenne se limitera-t-elle donc indéfiniment à une simple coopération policière avec les pays du front face à Aqmi ?
Au milieu des années 2000, les services de renseignements des pays du sud de l'Europe partageaient, pourtant, la crainte que les Etats du Sahel «sans grandes ressources économiques et faute d'une base institutionnelle stable» ne soient une proie facile pour Al Qaïda, dont l'objectif est de transformer la partie nord de l'Afrique, du Soudan à la Mauritanie via le Tchad, le Niger et le Mali, en de véritables bases et camps d'entraînements.
Les répercussions directes pour la sécurité européenne, spécialement l'Espagne, sont, selon ces sources, évidentes, car les connexions de l'Algérie et du Maroc avec l'Europe passent en grande partie par l'Espagne. Se référant à un récent rapport du ministère espagnol de la Défense, El Pais rapportait, en avril, que «l'Espagne veut que l'Otan s'engage dans la lutte contre la menace terroriste au Sahel».
Ce rapport qui a été «rédigé par deux hauts officiers supérieurs espagnols auprès de l'Alliance atlantique», suggère «un plus important rôle des alliés dans les régions d'intérêt stratégique comme le Sahel».
Une coopération qui «pourrait être sanctionnée par un accord avec l'Union africaine ou la Ligue des Etats arabes dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée (UPM)». L'Espagne qui a été ciblée par les attentats du 11 mars 2004 semble mieux comprendre, que tous ses voisins européens, l'urgence d'un appui logistique occidental aux pays de la ligne de front au Sahel.
Les Américains agissent, les Européens réfléchissent
Sa vision rejoint quelque part sur ce plan celle des Etats-Unis qui, eux, comprennent encore mieux cette menace terroriste déjà depuis le 11 septembre 2001.
Le Pentagone a déjà dessiné une nouvelle carte géostratégique plus adaptée aux desseins du projet sécuritaire américain en Afrique. En juin 2007, le secrétaire d'Etat à la Défense, Robert Gates, informait la Maison-Blanche de la croissante implantation de réseaux d'Al Qaïda au Maghreb où l'organisation terroriste de Oussama Ben Laden a le plus «gagné du terrain» pour compenser son «échec en Irak» et l'éloignement des talibans du territoire afghan.
Selon le rapport de Robert Gates sur la configuration du «terrorisme islamiste» à l'échelle mondiale, spécialement au Sahel, «il est facile de faire du trafic d'armes et des entraînements armés» dans cette partie subsaharienne de l'Afrique.
Une réunion des «chefs des état-majors des pays de la région avait eu lieu le 7 février 2008 à Dakar avec le général américain William Ward avec pour objectif de contrôler le sanctuaire du terrorisme d'Al Qaïda sur une vaste étendue qui chevauche sur plusieurs pays. En juin 2008, les Etats-Unis annonçaient la mise en marche du futur commandement militaire américain, Africom, dans le continent africain pour combattre les activités d'Al Qaïda.
Le «Plan Sahel»
Le «Plan Sahel» du Pentagone s'est reconverti depuis en «Association transsaharienne antiterroriste» (TSCTP) dont un rapport fait ressortir la faible capacité des Etats subsahariens à faire face seuls au terrorisme d'Al Qaïda, autrement mieux équipé et ses éléments plus rodés à la lutte armée que les armées locales des pays du Sahel.
Les Etats-Unis avaient décidé alors de former de petites unités armées du Sahel dans la manipulation de nouvelles armes, dans la mise en place de systèmes de communication et de navigation terrestre ainsi que dans le secourisme des soldats blessés dans des zones éloignées des centres de santé.
L'Algérie avait entrepris, de son côté, de former et de mobiliser 3000 targuis, très motivés pour aider à la sécurisation totale de l'extrême sud du pays aux côtés des forces de l'ANP, avec le même sacrifice que celui des groupes de légitime défense dans le nord du pays.
Progressivement donc, en complément de la stratégie mise en place par l'Algérie avec ses voisins du sud, les Américains ont développé un rôle autrement plus actif, plus concret, une action plus institutionnalisée en Afrique subsaharienne. Une initiative à laquelle les vieilles puissances coloniales européennes voisines n'y réfléchissent même pas encore.


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