Très calme d'habitude, le village connaît une animation durant les soirées de Ramadhan. On y veille jusqu'à des heures indues en consommant du café, du thé et quantité de sucreries. Les plus aisés s'offrent des brochettes en sandwich auprès de marchands improvisés. Le développement, la modernisation n'ont rien changé aux habitudes des Milianais et surtout des Milianaises gardiennes des traditions durant ce mois de ramadhan. Pour faire remarquer à l'invité leur attachement aux us et coutumes, c'est autour d'une meïda en bois d'où s'élèvent les odeurs et les arômes d'une chorba fait main tapissée de coriandre fraîche, d'un tajine de m'theouem, d'une sfiria, d'une assiette de l'ham el h'lou préparé avec la prune de Zougala et d'une salade ornée d'olives noires locales. La soupière en porcelaine donne un goût particulier à la chorba. Pendant un long moment, seul le son des cuillères règne. Sur la meïda, il n'y a pas de fourchette, ni de couteaux non plus, tous les autres plats se mangent avec les doigts. «À la main, on sent le goût, une saveur particulière» dit Hamdane. Dans la pièce voisine, les voix des femmes se mêlent au son des cuillères et aux cris des enfants qui mangent dans la cour de cette maison au style arabo-mauresque où règne en maître le citronnier «quatre-saisons». Des pots de fleurs garnissent les abords de cette cour alors que le jasmin grimpant le long du mur jette ses branches fleuries à l'extérieur de la bâtisse. La meida du coin, une école Pendant que les hommes et les hadjate sont à la mosquée pour la prière des «taraouihs», les femmes restées à la maison préparent la «qaada» sans faire attention aux gesticulations des malheureux comédiens des séries télévisées. Le son est à son faible niveau. La cour est éclairée de guirlandes de différentes couleurs. Des matelas, des poufs et des tabourets sont disposés autour de la grande «meïda» de la maison, garnie cette fois de makrouts au miel, de tcherek saupoudré de sucre, de kalb ellouz, ktaïef et m'hancha. Toutes ces pâtisseries ont été faites à la maison. De retour de la mosquée, les vieilles hadjate se vautrent sur les coussins et demandent à boire, les hommes s'assoient sur les tabourets tandis que le poufs sont réservées aux femmes et aux jeunes filles. Pour inculquer ces habitudes aux enfants, une meïda au coin de la cour leur est réservée. De là, ils pourront imiter les grands. On sirote du café et du thé tout en écoutant les qacidate de Sidi Lakhdar Ben Khlouf récitées par Bourdib. Les vieux racontent l'histoire de la ville, de Sidi Ahmed Ben Youcef, de l'Emir Abdelkader, de Mohamed Bouras, Mustapha Ferroukhi, Ali la Pointe et autre Bouachra qui vient de s'éteindre dernièrement. Les hommes quittent la maison pour laisser les femmes jouer à la bouqala. “Faire descendre ce qui a été mangé” Au café du centre-ville, ce sont les retrouvailles. On se salue, on s'embrasse, on s'enquiert sur la santé, sur la famille, sur les études des enfants et sur… le temps. A Miliana, on parle rarement de politique quand on est entre vieux copains. Si les uns discutent, d'autres s'adonnent sérieusement à la belote ou aux échecs. Les supporters se sentent plus concernés que les joueurs. Une ambiance particulière dont seuls les Milianais connaissent le secret. Les femmes, même les plus vieilles, ont profité de l'absence des hommes pour se permettre une danse sur un air haouzi. «A minuit, c'est le moment de se dégourdir les jambes», comme le prétexte la maîtresse de maison. Tout le monde est convié à une promenade dans la ville. Sous les étoiles, la lumière tamisée des lampadaires et la fraîcheur de cette nuit d'été, la caravane avance par petits groupes rencontrant d'autres familles venues elles aussi «faire descendre ce qui a été mangé», une manière de dire «pour mieux digérer». Traînant le pas, la marche durera plus d'une heure, bien que tout le monde se sente éreinté. Le s'hor qui est une obligation obéit aussi à des traditions. Du couscous aux raisins secs arrosé d'un bon lait caillé est servi. On terminera la soirée avec un thé à la menthe ni trop sucré ni trop amer.