Très calme d'habitude, le village connaît une animation durant les soirées de Ramadhan. On y veille jusqu'à des heures indues en consommant du café, du thé et quantité de sucreries. Les plus aisés s'offrent des brochettes en sandwich auprès de marchands improvisés. Les jeûneurs avaient déjà pris place dans le restaurant populaire Jijeli près d'une demi-heure avant le f'tour. Unique gargote ouverte à Ouled Fayet durant le mois de Ramadhan, elle est prise d'assaut par les ouvriers du bâtiment, nombreux à trouver un emploi dans ce village en pleine expansion. Le restaurateur sert aussi des repas à emporter à plusieurs autres travailleurs qui préfèrent se restaurer dans leur baraque de chantier. Il reste quelques minutes avant l'appel du muezzin, mais les principales rues sont encore animées, les retardataires s'agglutinant devant les magasins encore ouverts. On s'arrache des fruits, des sucreries mais surtout le pain traditionnel à peine sorti du four et ces olives qui font tant envie. Le calme tombe après l'adhan, entrecoupé de temps à autre par le passage irrégulier de quelques véhicules. Certainement des traînards qui ont hâte de rejoindre la table familiale. Un quart d'heure suffit pour que le village s'anime et que les terrasses des cafés s'emplissent. Pour beaucoup de consommateurs, s'attabler au café du coin après le f'tour est une véritable addiction, un sacerdoce qu'impose le besoin pressant de griller une cigarette et boire une tasse de café bien corsé. Ainsi débute la soirée de Ramadhan dans ce village des hauteurs du Sahel algérois, dans les cafés qui ont fleuri le long de la rue Hamidat Bouderbala, l'artère principale de la ville. Dominos, qalb ellouz et q'taïf Le timing est bien respecté. Il faut moins d'une heure après le f'tour pour que le village soit littéralement envahi par des centaines de citoyens de tout âge, venant des dizaines de fermes alentour ou déboulant du Plateau, un agrégat de constructions où se concentrent des milliers d'habitants de toutes les origines sociales. Et si beaucoup se dirigent en groupe vers les mosquées pour les tarawih, les prières surérogatoires qui durent assez tard la nuit, nombreux sont ceux qui préfèrent se prélasser dans les cafés ou participer à d'interminables parties de dominos. L'ancien cercle de l'équipe locale de football s'est spécialisé dans ces joutes qui mettent aux prises les meilleurs joueurs de la contrée. Immanquablement, ils attirent une foule de curieux, visiblement très intéressés par le cours des parties. Comme il est de rigueur depuis que ce jeu a été introduit en Algérie, les perdants régalent l'assistance qui ne se prive pas de commander, outre les boissons fraîches, des carrés de qalb ellouz et des q'taïf . Les parties durent parfois plusieurs heures dans l'épaisse fumée de cigarettes et dans le bruit sec des petits carreaux de dominos qu'on abat avec brutalité sur les tables. Grillades sur les trottoirs Plusieurs jours avant le Ramadhan, des commerces très particuliers ont pris naissance le long de la rue Bouderbala : des marchands de grillades, qui exercent certainement sans aucune autorisation. Simple, la recette a fait des émules parmi les habitants de cette rue. Devant l'entrée des demeures, on installe un petit barbecue et on expose quelques brochettes de merguez, de viande, foie, de bœuf, d'escalopes de dinde, rangées en gerbes et recouvertes d'un film plastique transparent. Comme quoi, l'hygiène y est. Qui explique aussi leur prix légèrement supérieur à celui pratiqué par les gargotiers. Mais qu'importe, ventre creux n'a point d'oreilles. En général, ils «ouvrent» à partir de 23h, au moment où les veilleurs commencent à ressentir la faim. Et là, les commandes affluent de la part des joueurs de dominos et des nombreux badauds qui sillonnent les deux principales rues animées du village. Les automobilistes de passage comptent parmi les clients potentiels, qui contribuent à gonfler le chiffre d'affaires de ces «rôtisseurs» improvisés. Le commerce est tellement rentable qu'à partir d'une certaine heure de la soirée, c'est tout le village qui est submergée d'un épais brouillard de fumée. En fait, cette activité se pratique tout au long de l'année, durant les trois mois de l'été en particulier. Avant la construction de l'axe autoroutier Ben Aknoun-Zéralda, les vacanciers avaient pour habitude de «couper» par la route de Dély Ibrahim-Ouled Fayet-Bouchaoui pour se rendre aux plages du littoral ouest et éviter ainsi les embouteillages qui se formaient sur la RN11. Profitant de la rentrée tardive des estivants, quelques rusés habitants s'étaient improvisés en marchands de grillades. Les affaires ont commencé à bien marcher mais l'autoroute y a mis fin, peu d'automobilistes empruntant depuis l'itinéraire sus-cité. Le commerce ne s'est pas totalement arrêter. Il a repris depuis que la ville a commencé à opérer sa mue, avec la construction de centaines de logements sociaux et promotionnels et que de nombreuses gens, originaires de plusieurs régions de l'Algérois, y ont jeté leur dévolu. Des phénomènes sociaux nouveaux sont, en effet, apparus. Entre autres, la consommation abusive d'alcool dans les forêts, bosquets et terrains vagues qui ceinturent la ville. Ces noctambules, au même titre que leurs compères qui rentrent éméchés des complexes de Zéralda et de la Madrague, trouvent de quoi calmer leur faim chez ces marchands improvisés. A Ouled Fayet, on ne tient pas rigueur ni aux premiers ni aux seconds, car la majorité des veilleurs a développé d'autres habitudes, d'autres lieux de convivialité. Sur les trottoirs ou à l'intérieur des cités populaires, nombre de marchands de thé à la menthe et de cacahuètes y ont pris place. Dans des gobelets en plastique – les verres sont destinés aux intimes –, ils servent leur breuvage aux nombreux amateurs. Généralement, de jeunes chômeurs en quête de loisirs simples et de quelques brefs moments de convivialité.