Construite en 1950, la résidence universitaire Taleb Abderrahmane (Ruta) de Ben Aknoun a connu une extension dans les années 1970. Conçue à l'origine pour héberger quelque 2000 étudiants, la Ruta prend en charge actuellement pas moins de 9000 résidents. Ces derniers se plaignent des conditions de vie «indécentes», semblables, disent-ils, à celles des prisonniers. La situation est pratiquement la même dans toutes les résidences universitaires. Surcharge des chambres, hygiène défaillante, inexistence d'un chauffage central, absence d'eau chaude dans les «douches», violence, agressions, vols… C'est le lot quotidien des résidents. La RUTA, la plus ancienne des cités U, n'échappe pas à ce qui semble être la règle. Dans cette résidence, en dépit des efforts de l'administration d'améliorer les conditions de vie des étudiants, tout est sujet à critique. En effet, cette cité, qui est censée offrir un cadre de vie agréable aux étudiants, s'est transformée, ces dernières années, en un véritable dortoir. Loin du dortoir du lycée où la discipline et l'ordre sont de rigueur, la cité universitaire «garçons» de Ben Aknoun est un lieu où règnent l'anarchie, la violence et l'insécurité. Une situation encouragée en premier lieu par la promiscuité affligeante dans laquelle vivent les étudiants. Une chambre dite «individuelle» accueille actuellement quatre étudiants ! A la rentrée universitaire, les étudiants trouvent la plupart des portes et des fenêtres des chambres saccagées. A l'intérieur, un placard en bois à deux portes pour ranger les vêtements, une table qui sert de bureau pour «bosser» et des lits superposés en métal ou en bois pour les plus chanceux. Vu l'exiguïté des chambres, une distance d'un mètre sépare les lits des étudiants. «Expliquez-moi comment peut-on vivre avec trois autres étudiants dans une chambre pareille ?», s'interroge Chafik, étudiant en 3e année à l'institut des sciences politiques. «Nous ne pouvons pas étudier dans de telles conditions. Si mon copain de chambre veut lire un livre ou préparer son examen la nuit, je ne peux pas dormir à cause de la lumière. C'est encore pire lorsqu'il a envie d'écouter de la musique», peste Chafik, très en colère. Pis, le tapage nocturne empêche l'étudiant de se reposer et de réviser ses cours. La nuit, la cité se transforme en souk où le civisme cède la place à des comportements «sauvages». Des étudiants s'adonnent au jeu de dominos et de cartes jusqu'à une heure tardive, sous un fond d'une musique assourdissante. «Parfois, on se demande si réellement on a affaire à des étudiants. Je pense que certains comportements ne trouveront d'explication que chez un psychiatre», indique Omar, étudiant en journalisme. «A voir certains agissements, il est à s'interroger si certains étudiants ne méritent pas d'être surveillés, comme au lycée, pas des maîtres d'internat», ajoute-t-il.
Ici, tout se vend ! Avec une bourse qui sert juste à acheter les tickets du restaurant et quelques cigarettes, un nouveau phénomène a vu le jour au niveau des résidences universitaires. Il s'agit de la transformation de chambres en boutique où tout se vend. A la RUTA, à l'instar des autres cités, on a l'impression qu'on est dans un centre commercial. Sur la plupart des murs des pavillons, on peut lire : «Vente de cigarettes chambre X», «Flexy chambre Y», «Loue Millénium chambre Z», «Photocopie, chambre 42»… Un commerce florissant se développe sous les regards complices de l'administration. «Je suis sûr qu'un jour nos étudiants vendront des sandwiches de chawarma dans les chambres», ironise Samir, étudiant en droit. Ce dernier ne comprend pas comment l'administration tolère une activité commerciale à l'intérieur des chambres. «Des affiches annonçant l'ouverture de nouvelles "boutiques" sont collées sur tous les murs au vu et au su des responsables qui ne font rien pour combattre ce phénomène», souligne notre source. Et d'ajouter : «Beaucoup d'étudiants ont abandonné leurs études pour s'adonner au commerce.» Un dortoir géant Les activités sportives se résument à un tournoi de football que des associations estudiantines organisent une fois par an. Les terrains de basket et de hand ne sont pas aménagés. «On organise des activités juste pour "bouffer" l'enveloppe financière dégagée par l'administration», accuse Mourad, étudiant et athlète. Les activités culturelles sont absentes sinon réduites à l'organisation de quelques soirées musicales, affirment les étudiants. Sans animation, la RUTA est devenue un véritable dortoir où on dort mal, où on mange très mal. Durant l'année universitaire, la qualité de la nourriture servie laisse à désirer. L'étudiant a droit à des repas appelés ironiquement «OMNI», objets mangeables non identifiés. «Pour un plat immangeable, on fait une heure de chaîne», dénonce Karim, étudiant en 2e année. Il explique que sur les quatre chaînes prévues, on n'en ouvre que deux. «L'étudiant dépense toute son énergie dans des chaînes interminables pour qu'on lui serve en fin de compte un OMNI», déplore notre source. Qu'elle s'appelle RUTA, Hydra-Centre ou CUB 1, les résidences universitaires n'offrent à l'étudiant aucun cadre de vie le mettant à l'abri du besoin afin qu'il ne s'intéresse qu'à ses études.