Dans les années 60, aux Etats-Unis, des psychiatres ont eu l'idée bizarre de séparer des vrais jumeaux abandonnés à la naissance afin de tenter de mieux comprendre les différences entre l'inné et l'acquis. C'est ainsi que Paula et Elyse ont été adoptées chacune par une famille différente, l'une à New York, l'autre à Paris. Lorsqu'elles se sont retrouvées, trente-cinq ans plus tard, ce fut un «choc incroyable», a raconté Elyse dans un livre publié l'an dernier. La jeune femme se découvre mille et un points communs avec cette «autre version» d'elle-même : des études similaires, des parcours professionnels proches... Bref, deux vies parallèles sans le savoir. Le lien qui unit les jumeaux reste une énigme que la science n'est pas près de percer. C'est une relation unique, universelle, qui transcende toutes les autres, résiste au temps et aux épreuves (et même aux expériences saugrenues !). Depuis trente ans, nos yeux se sont habitués à voir de plus en plus d'enfants du même âge à la forte ressemblance : le nombre de naissances de jumeaux a fait un bond de plus 60 % en France sous l'effet des maternités tardives et des progrès des traitements contre l'infertilité. Le plus souvent, il s'agit de faux jumeaux, nés de la fécondation simultanée de deux ovules par deux spermatozoïdes. Les grossesses gémellaires sont aussi mieux suivies et les naissances multiples sont moins risquées qu'autrefois, pour la mère comme pour les enfants. Grâce à la génétique, enfin, on comprend mieux le processus de fabrication de ces deux êtres au patrimoine génétique identique que sont les vrais jumeaux. Un évènement qui reste rare (8% des naissances gémellaires). La révolution psychanalytique a, de son côté, bouleversé l'éducation des jumeaux. Depuis les travaux du psychologue René Zazzo, père de la «science des jumeaux», on sait que les vrais jumeaux, semblables au point qu'on les confond, «ne se ressemblent guère plus, psychologiquement, que des frères ordinaires». C'est ce qu'il a appelé «le paradoxe des jumeaux». Des mystères à découvrir encore Il reste beaucoup à découvrir sur ces «clones naturels» et le lien si particulier qui les unit. C'est le mystère des jumeaux qu'ont choisi d'explorer Nils Tavernier, qui avait réalisé en 2006 L'Odyssée de la vie, et Marie-Noëlle Himbert, dans un documentaire diffusé sur France 3. Les séquences en 3D recréées à partir d'échographies montrent comment cette complicité s'est nouée dans le ventre de la mère. Près de neuf mois de huis clos in utero, de coups de pied, de tâtonnements, de roulades, et de bisous ! Le film montre une superbe séquence où les deux fœtus se cherchent et s'embrassent à travers la fine membrane qui les sépare, comme un baiser échangé à travers une vitre. Cette connivence dans le ventre de la mère, commune aux vrais et faux jumeaux, imprime toute leur petite enfance. «Elle impose une étape supplémentaire dans l'apprentissage de leur autonomie», explique Francis Bak, psychologue cognitif, spécialiste des jumeaux. «Il faut respecter cette phase de fusion gémellaire, et c'est une aberration de les séparer trop tôt.» C'est à l'entrée au primaire, vers l'âge de 6 ans, que la séparation peut et doit se faire. «L'adolescence est particulièrement sensible, poursuit-il car c'est le moment où les jumeaux redéfinissent le lien à leur cojumeau.» Les ruptures sont rarissimes, mais elles existent, surtout dans les cas où le jumeau dominant écrase trop l'autre. Malgré cet amour partagé, qui dure toute la vie, il n'est pas toujours aisé de se construire dans le regard de son double. Parmi les mystères les plus fascinants de la gémellité, il en est un que la science commence tout juste à sonder : un nombre non négligeable de grossesses (de 15 à 20%, selon les études) seraient des grossesses gémellaires qui s'ignorent. L'un des fœtus n'ayant pas survécu, l'enfant qui naît seul resterait marqué à vie par ce «jumeau» manquant...