Mostafa Bouzidi a mis sur pied une nouvelle thérapie pour la prise en charge des patients qui souffrent de troubles psychologiques. Il s'agit de la thérapie de l'équilibre qui, contrairement aux thérapies existant à travers le monde, prend en considération pas moins de vingt facteurs de la vie des patients. Mostafa Bouzidi est chef de service psychiatrie au CHU de Tizi Ouzou et enseignant à la Faculté de médecine de la même ville. Il a étudié la psychiatrie à Paris puis exercé à l'hôpital Pitié Salpêtrière de Paris pendant sept ans avant de revenir en Algérie. Il est en train d'apporter les dernières retouches à son livre où il présente sa théorie et livre ses expériences. L'Expression: Comment l'idée de mettre en place la thérapie de l'équilibre est-elle née? Mostafa Bouzidi: J'ai toujours été pour le concept de la complémentarité. C'est pourquoi je n'étais pas convaincu par les théories qui tentent d'expliquer les troubles psychiques en se basant sur un seul facteur: la sexualité ou le comportement par exemple. J'ai compris depuis longtemps (en 1989) que les troubles psychiques ne peuvent être expliqués que si on prenait en considération plusieurs facteurs. Cette idée est de plus en plus confortée par le courant bio-psycho-social, la clinique de concertation et le nouveau Programme neurolinguistique. En quoi consiste la thérapie de l'équilibre? L'OMS définit la santé comme un état de bien-être complet: physique, psychique et social. Je définis le psychique comme étant divisé en trois domaines: l'intelligence, les sentiments et le comportement. Le physique représente le corps humain. Quant au social, je le divise en 16 chapitres qui sont: le travail, l'argent, la famille, la culture, la foi en Dieu, la liberté, la responsabilité, la démocratie, la justice, l'éducation, la communication, la société, la paix, la mort et la morale (éthique). Depuis 1989, j'utilise comme méthode thérapeutique la thérapie de l'équilibre. Sur quoi est-elle basée? La thérapie de l'équilibre est basée sur deux principes: les vingt facteurs sont tous importants et chaque être humain possède un Smig de capacités au niveau de chacun de ces facteurs; les personnes sont différentes au-delà du Smig. Il ne s'agit pas d'être parfait pour être équilibré (utiliser le maximum de capacités au-dessus du Smig), mais il suffit d'utiliser au moins le Smig de capacités au niveau des vingt facteurs pour être équilibré. Avez-vous des statistiques concernant la prévalence des maladies psychiatriques en Algérie? Non, il n'existe pas de statistiques des maladies mentales en Algérie au niveau de la population générale, mais à quelques variations près, nous retrouvons les mêmes statistiques partout dans le monde. En Algérie, le nombre de personnes atteintes de maladies psychiatriques avoisine les onze à douze millions (1/3 de la population générale) dont près de 360.000 patients psychotiques. Il s'agit de la prévalence sur la vie entière. On constate bien que ces dernières sont beaucoup moins fréquentes que les maladies non psychotiques. Pourtant, c'est la catégorie des psychotiques qui consulte le plus chez le psychiatre. Quels sont les principaux troubles psychiatriques enregistrés en Algérie? On retrouve les même pathologies un peu partout dans le monde. Il n'y a que les formes qui varient d'un pays à un autre. Il y a l'état dépressif, l'anxiété chronique et généralisée, les troubles phobiques, les troubles obsessionnels et hystériques, la toxicomanie, etc. Par toxicomanie, il faut entendre tabac, alcool, drogue et tranquillisants, sans omettre les maladies psychosomatiques. Les événements extérieurs à la personne peuvent-ils provoquer des maladies psychiatriques? Par exemple, un tremblement de terre, l'insécurité, des émeutes... A ce sujet, la prudence doit prévaloir. L'intervention des corrélations n'implique pas obligatoirement un lien de causabilité. Les éléments génétiques et socio-environnementaux ont certes un poids important dans le déterminisme et l'évolution de la situation d'une personne. Les facteurs précipitants les plus connus sont le deuil, la séparation, le chômage et les situations catastrophiques, selon une étude réalisée par les chercheurs français J-D.Guelfi et F.Rouillon. Pourtant, ce genre d'événements qui peuvent survenir dans la vie de n'importe qui d'entre nous, ne provoquent pas forcément des maladies psychiatriques... Effectivement. Tout comme il existe des éléments précipitants, il y a des facteurs protecteurs. De quoi s'agit-il au juste? Les facteurs protecteurs sont la qualité de l'entourage, celle du tissu social, la résilience et le style de coping ou bien ce qui est appelé la stratégie d'ajustement. L'ensemble de ces variables s'inscrit dans le déterminisme multifactoriel des troubles psychiatriques. En fonction du pays où nous vivons, nous sommes exposés à des facteurs précipitants différents. Mais la souffrance est la même partout. A partir de quel moment une personne doit-elle aller consulter un psychologue ou un psychiatre? A n'importe quel moment, on peut aller voir un psychiatre même à titre préventif. Ce n'est pas la peine d'attendre jusqu'à ressentir la maladie. De même qu'il nous est possible, avant d'aller chez un psychiatre, de demander des conseils à des gens de notre entourage que nous jugeons capables de nous aider. Il faut chercher dans son entourage des personnes auxquelles on peut faire confiance et ayant réussi à avoir un certain équilibre intérieur. Tout seul, on peut aller à la quête d'un bien-être sans forcément aller chez le psychiatre. C'est vrai que ce dernier ainsi que les psychologues et les psychothérapeutes sont les mieux indiqués, mais tout le monde peut avoir son mot à dire. Car, dans ce genre de situations, autant les causes sont multifactorielles, autant les traitements sont multifactoriels. Il serait intéressant si on pouvait créer des groupes où l'on pourrait discuter de ces problèmes. Qui doit-on consulter? Il serait plus judicieux de se renseigner à l'avance sur ce que ce psy fait, sur sa méthode, sur ses théories. L'un des troubles psychiatriques dont souffrirait la majorité est le manque de confiance en soi. A quoi est dû ce problème? Le manque de confiance en soi est provoqué par la non-utilisation des capacités individuelles que chacun de nous possède. Nous avons tous dans notre personnalité une moyenne de capacités qui nous permet, si nous les utilisons bien sûr, d'affronter n'importe quelle situation difficile de notre vie. L'individu doit chercher à s'entraîner pour pouvoir faire usage de ces capacités. Ils peuvent le faire avec des gens qui ont l'habitude de les utiliser. Ces derniers prouvent qu'il est humainement possible de faire ce travail sur soi. Dans cette démarche, il ne faut surtout pas tomber dans le piège de se comparer à l'autre. Ces capacités existent dans l'inconscient. Tout le travail consiste à les ramener vers le conscient. Vous ne parlez pas d'une seule capacité mais de plusieurs capacités. Quelle est la différence? Effectivement, il est important de souligner que ces capacités sont plurifactorielles. C'est pour cela qu'il est nécessaire de faire attention aux psychothérapeutes et aux psychanalystes qui se basent uniquement sur un seul facteur, aussi important soit-il. Le facteur sur lequel se basent les psychanalystes est sûrement utile mais insuffisant. Le psychanalyste ne regarde qu'une seule cause alors qu'on a évolué et découvert que les causes d'une souffrance psychologique sont multiples tout comme les traitements: d'ordre bio-psycho-social. Les gens souffrent souvent intérieurement pour des raisons héritées d'un passé douloureux. A-t-on tous la capacité de faire face aux séquelles du passé? Oui, tout humain, excepté les patients arriérés et psychotiques graves, a la capacité de s'adapter à son passé, quelle que soit son histoire. La capacité existe. Le problème réside dans son utilisation ou pas. Le rôle du psychiatre ou du psychologue consiste à aider la personne à ramener cette capacité du subconscient vers le conscient. On confond souvent entre deux mots: impossible et difficile, voire très difficile. C'est quand on arrive à reconnaître qu'il est très difficile de s'adapter à son passé, et non pas impossible, que le vrai travail commence. C'est à ce moment que la capacité dont on parle commence à apparaître. Il n' y a pas un moment dans la vie où on ne peut pas se rattraper quelle que soit la nature de notre vécu. Qu'en est-il des stigmates négatifs de l'enfance. Sont-ils plus prégnants? Une fois adulte, on a les capacités de tout corriger. Ce que nous avons vécu dans notre enfance n'est pas une fatalité. Certes, c'est une grande difficulté mais elle a des solutions. Mais dans la société, il faut travailler la main dans la main pour faire face à toutes ces situations. Etre complémentaire peut faire avancer les choses dans le bon sens. Quelle est l'explication psychologique donnez-vous au phénomène des haraga? Ils vivent l'Algérie comme une prison. Ils pensent que sortir de l'Algérie est comme sortir d'une prison. Il y a un grand déséquilibre entre l'indépendance et la dépendance. On dépend tous de sa famille, de son travail et de sa société. Mais en même temps, on doit avoir une liberté de circuler pour découvrir le monde. Ceci ne signifie nullement partir et tout abandonner derrière soi. Il faut chercher l'équilibre entre voyager et rester chez soi. On parle d'un «monde meilleur» et d'«une situation catastrophique» ici. Ces gens ont besoin de voir la réalité en face car pour l'instant, ils ont idéalisé la réalité de l'étranger, mais ce phénomène a des raisons multiples qui différent d'un individu à un autre. En plus des raisons admises, souvent, ces personnes vivent un problème grave et elles pensent qu'il faut fuir. Pour eux, c'est une solution. Qu'en est-il des problèmes de l'instabilité du couple, qui touchent de plus en plus notre société? Le pire problème psychologique que peut avoir une personne est la solitude. Croire que le mariage peut régler tous les problèmes est une illusion grave. La personne, en se mariant, découvre d'autres problèmes qui peuvent être plus compliqués. On pense toujours avant le mariage que l'autre sera compréhensif. Souvent, ce n'est pas le cas. Le mariage est très utile mais il est insuffisant. On parle aussi d'une crise spirituelle de plus en plus aiguë dans le monde d'aujourd'hui... Il est clair que la vie matérielle et la vie spirituelle se complètent. L'une ne va jamais sans l'autre.. La religion joue un rôle, n'est-ce pas? La religion est un choix. Il y a lieu de se demander si on n'est pas en contradiction avec soi-même. Surtout ne jamais se comparer aux autres. Il faut se comparer à soi-même et par rapport à ses propres croyances. Plusieurs psychothérapeutes et psychanalystes suggèrent que pour être bien, il faudrait vivre au jour le jour. Partagez-vous cette suggestion? C'est utile mais c'est insuffisant. Il faut utiliser toutes ses capacités pour le passé, le présent et l'avenir. En utilisant ses capacités, on en découvre d'autres et ainsi de suite jusqu'à se rapprocher de plus en plus de l'équilibre: dans la vie, il faudrait avoir un objectif, l'équilibre permet de préparer l'avenir dans la sérénité. On dit des Algériens qu'ils sont trop nerveux. Etes-vous d'accord? Attention! ce n'est pas forcément le plus calme qui est le plus équilibré. Il faut se méfier des apparences. On ne cherche pas la perfection. On cherche plutôt l'équilibre. Il y a une grande différence entre les deux.