Malgré la signature d'accords entre la Turquie et l'Arménie, en vue de la régularisation des relations entre les deux pays, il a été estimé que la suite du chemin serait parsemée d'obstacles. Du côté du Parlement arménien, le principal obstacle est que le gouvernement n'obtiendra pas d'approbation sans donner des assurances que la thèse du génocide ne sera pas affaiblie. Ankara n'entretient pas de relations diplomatiques avec Erevan en réaction aux campagnes menées par l'Arménie pour la reconnaissance du caractère génocidaire des massacres d'Arméniens survenus en 1915-1917 dans l'empire ottoman. Les protocoles prévoient la constitution d'une commission historique pour examiner la question. Côté turc, c'est la question du Nagorny-Karabakh, une enclave peuplée d'Arméniens en Azerbaïdjan dont Erevan a pris le contrôle au terme d'une guerre de six ans (de 1988 à 1994), conduisant la Turquie à fermer sa frontière avec l'Arménie en soutien à son allié turcophone, l'Azerbaïdjan, qui risque de semer la zizanie. Moins de 24 heures après la signature à Zurich (Suisse) des protocoles, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a lié l'ouverture de la frontière commune, prévue dans les accords, à une avancée sur la question de l'enclave arménienne en territoire azerbaïdjanais du Nagorny-Karabakh. «Nous voulons que toutes les frontières s'ouvrent en même temps (...) Mais tant que l'Arménie ne se sera pas retirée des territoires azerbaïdjanais qu'elle occupe, la Turquie ne peut pas avoir une attitude positive à ce sujet», a affirmé M. Erdogan. Il a cependant assuré qu'il présenterait dans tous les cas les accords au Parlement pour ratification. Quelques heures avant les déclarations de M. Erdogan, le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères avait condamné l'accord. «La normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie, avant le retrait des forces arméniennes des territoires azerbaïdjanais occupés, est en contradiction avec les intérêts de l'Azerbaïdjan et jette une ombre sur les relations fraternelles entre l'Azerbaïdjan et la Turquie», a-t-il affirmé. Autre écueil sur la route de la normalisation, la question du génocide. Elle serait à l'origine d'un retard de trois heures dans la signature des accords samedi, selon une source diplomatique arménienne. L'incident témoigne, selon l'analyste turc Sedat Laçiner, de la situation de précarité dans laquelle se trouve le gouvernement arménien sur cette question, cruciale pour son opinion publique. Les accords ne mentionnent pas le terme de génocide mais prévoient l'instauration d'une commission historique pour étudier le sujet. «Le maillon faible dans le processus à venir est le gouvernement arménien, parce qu'il doit faire face à une grande pression de la diaspora et de l'opposition et qu'il ne pourra pas durant ce processus employer le mot de génocide», estime le chercheur de l'Institut USAK, insistant sur la «dimension émotionnelle» du problème à Erevan. L'opposition nationaliste arménienne a déjà annoncé son intention de mener la lutte contre les accords. «Nous allons organiser des manifestations, des marches et toutes sortes d'actions de protestation. Chaque jour, nous allons expliquer aux gens dans la rue et dans leurs maisons et aux députés au Parlement qu'il faut interrompre le processus de ratification», a affirmé Gegam Manukian, dirigeant du parti Dashnaksutyun. 10 000 personnes avaient manifesté, vendredi, à Erevan contre les protocoles. Les relations entre Turcs et Arméniens sont hantées par le souvenir des massacres et déportations d'Arméniens en 1915-1917 : plus d'un million et demi de morts selon l'Arménie, 300 000 à 500 000 selon la Turquie, qui récuse le terme de génocide.