Vigueur des présences et des formes, Boussâada ! avec la vivacité de son ciel d'un bleu incroyable et de ses dunes où l'ocre flamboyant alterne avec le gris mauve ou le violet foncé, tant la moindre ondulation y provoque les jeux contrastés et sans nuance de la lumière solaire. C'est en 1844 qu'une occasion s'offre à Etienne Dinet en accompagnant des jeunes entomologistes en Algérie pour qu'il découvre Boussâada. Fasciné par la lumière, la beauté du site et les traditions de ses habitants, il y retourne une année après avec une bourse. Il voyage à Laghouat, Ouargla et Sedrata (Ghardaïa). Il peint ses deux premiers tableaux algériens, Les Terrasses de Laghouat et L'Oued M'sila après l'orage. Il continue à voyager en Algérie sans opter pour un domicile fixe. Il retourne à Paris et participe à la formation de la société des orientalistes, dont Léon Bénédicte est le président. En 1888, il s'inscrit à Paris aux langues orientales pour apprendre l'arabe. De retour en Algérie, il prend Slimane pour guide et fidèle compagnon. Il l'accompagne en 1894 à Paris. Une année plus tard, il n'expose que des œuvres et des portraits concernant l'Algérie. En 1904, Etienne Dinet achète une maison à Boussâada et crée un centre où ses amis dont Bénédicte viennent lui rendre visite. L'oued ! Dinet ne s'est jamais lassé d'associer le jaillissement de l'eau, sa fraîcheur et son éclat à la vitalité vigoureuse et saine des corps des fillettes qui s'y baignent, font la lessive, se pourchassent ou sont pourchassées, et la scène devient plus belle encore lorsque la légende se mêle au réel, et que les adolescentes nues qui jouissent de tout leur jeune corps au contact de l'eau qui coule, en même temps que des filles descendues du ciel à force d'ailes pour se donner les plaisirs du bain. Dinet, Eberhardt et la fascination pour l'oued Etienne Dinet a consacré dans ses tableaux des scènes très simples de la vie de l'Oasis. Il voulait montrer les aspects les plus ordinaires, les plus quotidiens du monde réel qu'il avait sous les yeux, et qu'il n'avait nul besoin de recomposer ou de signifier pour qu'ils soient saisissants. Et Khadra, danseuse d'Ouled Naïl qu'on pourrait presque désigner comme l'héroïne romanesque de Dinet. C'est à Boussâada qu'est née et a grandi la petite Khadra et a séjourné plusieurs fois avec des chances inégales dans plusieurs autres lieux : Ghardaïa, Ouargla, Biskra avant de se retrouver à son point de départ. Errance et nomade de cœur et d'hérédité. Emportée en 1904 par les eaux en crue de Aïn Sefra, Isabelle Eberhardt a également connu cette fascination pour l'oued. La vie saharienne se propose pour Dinet comme un ensemble de tableaux parfaitement dignes du pinceau, tant ils sont riches d'expression, de mouvement, de couleurs, de lignes et de toutes les qualités picturales désirables : éclat vif des couleurs, somptuosité des bijoux contrastes saisissants des ombres violettes et de la lumière ocre. Les fillettes bédouines dont il montre la grâce de jeunes chats ne sont en rien des princesses, les expressions qu'il souligne sur les visages sont provoquées par des situations simples et misérables. C'est l'avidité des enfants affamés qui se battent pour des abricots, ou le désespoir bruyant de pauvres femmes dont on emmène les maris prisonniers. La vivacité des couleurs et leur intuitif rappellent sans doute l'art des miniatures, de même que le souci de présenter dans leur vérité des gestes pris sur le vif et des expressions chargées de sens. C'est un art qui se veut à la fois décoratif et expressif. «Depuis quarante ans, j'ai fixé les choses que la civilisation détruit peu à peu implacablement.» En 1912, Dinet obtient par ses interventions que Boussâada échappe à la tutelle militaire et devienne territoire civil. Une année plus tard, il adhère officiellement à l'islam sous le nom de Nasreddine. En attendant que le difficile projet de pèlerinage se concrétise, il complète son Expériences de la vie musulmane au désert saharien grâce aux renseignements recueillis auprès des pèlerins aux lieux saints. N'est-ce pas une évocation du Prophète (QSSSL) lorsqu'il était enfant. «De retour dans la badia des Beni Saâd, Mohamed imprima ses pas sur le tapis noir des sables immaculés et il y respira à pleines narines les parfums des plantes aromatiques de la dune. Il y dormit sous la tente bleue sombre du ciel criblé d'étoiles, et sa poitrine s'élargit en aspirant l'air limpide de la nuit désertique.» S'agissant du prophète Mohamed (QSSSL) et cinq ans passés sa conversion à l'islam, Nasreddine Dinet ne voit plus la vie de la même manière. Il s'achemine vers une austérité qui est intimement mêlée à sa volonté de se préparer pour le pèlerinage, en juin 1929, il résume très clairement toute cette révolution, le sens de son œuvre passée, et celui des perspectives qui, malheureusement, n'ont pu aboutir, du fait de sa mort quelques mois plus tard. Il explique donc ce qu'il compte faire désormais : «Ce seront des scènes religieuses exclusivement, et elles seront le couronnement de mon œuvre, puisque depuis quarante ans, j'ai fixé les choses que la civilisation détruit peu à peu implacablement.» «J'étais, je crois, le seul à pouvoir le faire avant la disparition complète, j'ai terminé ce que je pouvais dire sur les enfants, les batailles, les amoureux, les courtisanes et les danseuses, les scènes de la vie nomade, et j'avais commencé les scènes religieuses, mais celles que j'ai vues sont admirables, par elles, je voudrais faire partager mon émotion.» Nasreddine Dinet est né le 21 mars 1861, dans une famille d'avoués à Paris. Après sa réussite au baccalauréat en 1879, il fait carrière dans les beaux-arts malgré les réticences de sa famille. Nasreddine publie son premier livre illustré Le poème d'antan en 1898, puis Le printemps des cœurs qui est un recueil de trois légendes sahariennes. Son tableau L'arabe en prière amorce le mouvement qui l'amène à sa conversion à l'islam. Il publie Les fléaux de la peinture, puis Vingt scènes de la vie arabe, parution de Désert, Vie de Mohamed illustration de Dinet et décoration de Mohamed Racim, L'Orient vu par l'Occident, Khadra, danseuse d'Ouled Naïl, en 1926, il construit une koubba pour abriter sa tombe, celle de Slimane Ben Brahim et de sa femme Fatoum. Il meurt le 24 décembre en France et son corps fut ramené le 6 janvier 1930 à Alger. Jeanne, sœur du peintre, a été son principal biographe. Entre autres ouvrages publiés sur Nasreddine Dinet, figure celui de Mohamed Baghli. Le réalisateur Rabah Laradji a réalisé un documentaire sur cet artiste. Il existe aussi un ouvrage de Denise Brahimi, Les terrasses de Boussâada. Comme Léonard de Vinci était le peintre du christianisme, Nasreddine Dinet voulait être le peintre de l'islam.