Un génie oriental avec une émotion religieuse. André Gide a la force des images et la ténacité des préceptes par l'examen intérieur, l'inflexibilité et l'observance. Oriental, il a aimé le désert, et ses œuvres sont faites avec des arabesques. Dans ses œuvres, l'auteur semble nous offrir l'ivresse du soleil pour une doctrine de vie. Dans son livre Les nourritures terrestres se dégage non l'odeur de la joie, quoiqu'il nous en parle sans cesse, mais les relents de l'amertume et de la flétrissure prochaine. En vérité, il n'est de joie que d'agir et non de sentir. C'est pourquoi dans ses ouvrages s'exaspère la recherche des sensations inédites. «Il y a sur terre de telles immensités de misère, de détresse, de gêne et d'horreur, que l'homme heureux n'y peut songer sans prendre honte de son bonheur. Et pourtant, ne peut rien pour le bonheur d'autrui celui qui ne sait être heureux lui-même.» L'écrit de Gide est plein de sincérité et de franchise passionnée. Il ouvre toutes grandes les portes de son cœur avec un courage sans réserve. Cet emportement, qui, d'un bout à l'autre du livre Les nourritures terrestres, brûle à travers les pages et communique peu à peu à l'âme sa frénésie, est une sorte de griserie émouvante. Le style de son œuvre est en sorte des maximes, pressions irrésistibles de l'éloquence où, comme un buveur au milieu d'une ivresse, il garde un moment son verre immobile près de ses lèvres. «Que ta vision soit à chaque instant nouvelle ! Le sage est celui qui s'étonne de tout.» Puis un univers où l'on est curieux, éperdument de tout, des sons, des couleurs, des odeurs, des eaux, des bêtes, des plantes et divinement gourmand de la vie. C'est aussi une âme qui fouille fébrilement au cœur des choses, que tout exalte et qui voudrait tout éteindre et qui se désespère d'amour, partout ce mot jaillit, éclate et ruisselle. «Oh ! Si le temps pouvait remonter vers sa source ! Et si le passé revenir ! Nathanaël, je voudrais l'emmener avec moi vers ces heures amoureuses, où la vie coulait en moi comme du miel.» Cette image de la coupe d'or rappelle le poète Omar Khayyam Les nouvelles nourritures contiennent çà et là des pages nietzschéennes, émouvantes, ou le lyrisme, l'éloquence même sont du meilleur aloi, à la Zarathoustra. Il y a aussi un métissage sensible de texte d'inspiration de styles et d'époques différents. Il s'est inspiré de même du grand poète persan Saadi, auteur notamment du Gulistan, le jardin des roses. «Ah ! J'ai brisé ma coupe, je me réveille. L'ivresse n'est jamais qu'une substitution du bonheur ! Tout fruit est possible ; traîneaux, pays glacés, j'attelle à vous mes désirs.» Sans qu'il y ait sans doute là une réminiscence d'un poème précis, mais cette image de la coupe d'or rappelle le poète Omar Khayyam. En séjournant plusieurs fois à Blida, Alger et, notamment, à Biskra où il les évoque dans son récit «une branche d'olivier dans le ciel, le ciel au-dessus des collines, un chant de flûte à la porte d'un café… Alger semblait si chaude et pleine de fêtes que je voulus la quitter pour trois jours, mais à Blida, où je me réfugiais, j'ai trouvé les orangers tout en fleurs». L'enfance difficile qu'il a eue avec sa mère ne la retrouve-t on pas dans le personnage d'Amélie ? La majeure partie des écrits d'André Gide sont des œuvres autobiographiques. La symphonie pastorale rééditée par l'Enag est, elle aussi, autobiographique. Ce roman marque une évolution dans le domaine religieux et une préfiguration de la libération de Gide. Il s'agit d'une histoire d'un pasteur protestant, de sa femme Amélie et de leurs enfants, en particulier Jacques, Sarah l'aînée des filles, et Charlotte, la petite, et puis il y a Gertrude. Trois thèmes principaux sont développés dans ce roman : la famille, la morale et la religion. Nous retrouvons également dans Symphonie pastorale son attitude à l'égard de la famille, qui s'explique sans doute par l'enfance difficile qu'il a eue avec sa mère, ne la retrouve-t on pas dans le personnage d'Amélie, l'épouse du pasteur ? Comme la mère de l'auteur, Amélie s'offre au devoir non point tant par dévotion que par inclination personnelle lorsqu'elle prend soin de la petite infirme que le pasteur lui ramène et, pourtant, elle ne cesse de récriminer ce qui trouble l'auteur tout comme il tremblait devant sa mère. Nous retrouvons également de la même façon et dans le même personnage une autre femme qui a marqué André Gide : son épouse Madeleine qui a beaucoup souffert avec son mari. Comme Madeleine, Amélie souffrira en silence de ce côté pervers de son mari et restera intuitive jusqu'au bout, et c'est Amélie qui restera à ses côtés lorsque surviendra le drame, comme Madeleine (l'épouse d'André Gide) le fera dans sa vie réelle. Et pourtant, lorsque Madeleine mourra en 1938, bien plus tard, il dira : «Il me paraît que tout le meilleur de moi me vient d'elle… je me persuade maintenant que j'ai faussé sa vie encore bien plus qu'elle n'a faussé la mienne.» Paludes, le prélude de ce qu'allait devenir André Gide Une des premières œuvres assez signifiantes de l'auteur est Paludes, parce qu'elle est en quelque sorte le prélude de ce qu'allait devenir André Gide. Vie d'un homme solitaire confiné dans une maison retirée du monde par analogie avec un personnage de Virgile (poète latin) qui coule des jours heureux dans sa modeste maison et son lopin de terre. André Gide est né le 22 novembre 1869. Son enfance est rythmée entre la Normandie maternelle et dans le Languedoc paternel sous deux climats et milieux différents. A la mort de son père doux et un peu effacé pour lequel il avait une «vénération un peu craintive», il se trouve seul avec sa mère, femme fort intelligente, cultivée, mais d'un rigorisme religieux, moral et puritain qui marquera profondément l'enfance et l'adolescence de son fils. Il fait de nombreux voyages en Algérie. Ses principales œuvres sont Si le grain ne meurt, Les cahiers d'André Walter, le Roi Candolle, Les nourritures terrestres, des correspondances et de nombreux essais et critiques ainsi que des pièces de théâtre. Il adapte au théâtre avec Jean-Louis Barrault Le procès de Kafala et son roman La Symphonie pastorale a été adapté au cinéma par Jean Delannoy. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1947. Il meurt le 19 février 1951. L'écriture d'André Gide est en sorte un cri d'extase avec un désir d'embrasser le monde, avec les évocations de couleurs intenses des villes et des jardins, cette forme d'ironie passionnée qui vient souvent alléger le récit, ces rondes ou ces ballades élevées à la nature et à la vie… comme une brise vagabonde.