Les yeux pétillants, un sourire plein de tendresse, Yacef Saâdi garde encore sa vivacité d'esprit et son sens de l'humour. Hier, en franchissant la porte de notre rédaction, il n'a pas manqué de saluer «les jeunes qui participent à la révolution scientifique et culturelle», osant aussi cette réflexion envers deux de nos confrères âgés, histoire de les taquiner : «Vous êtes de ma génération.» Figure emblématique de la révolution nationale et de l'histoire de notre pays, Yacef Saâdi n'attend qu'une seule chose de la nouvelle génération : faire une révolution du savoir pour que notre pays puisse sortir de cette «pseudo colonisation». Pour lui, l'Algérie n'a pas eu encore son indépendance puisqu'elle ne figure pas au rang des pays développés. A 82 ans, il garde des souvenirs précis qu'il rapporte dans son quatrième ouvrage. Quel est votre livre de chevet ? Je n'ai pas un livre de chevet particulier, mais je m'intéresse à tout ce qui se rapporte à l'histoire et à la guerre d'Algérie. Je prends note de tout ce qui se dit en relevant les sujets à controverse. Je fais travailler ma tête, mon cerveau a besoin d'une gymnastique. Je lis tout ce qui me tombe sous la main, journaux, livres, magazines… Parfois je revois mes livres, j'en ai écris trois et le quatrième est en préparation. Parlons-en… J'ai été condamné à mort trois fois et j'ai été emprisonné seul dans une cellule d'1m2 et demi. Il fallait meubler la journée. Je me rappelais des faits les plus marquants et je les mémorisais (…). Après mon transfert à Fresnes, je pouvais disposer d'un stylo et de papier, je pouvais écrire ce que j'ai vu et vécu à Alger. Après ma libération, j'ai pensé faire un film puisque j'avais de la matière. Ce sont ces mémoires là qui m'ont servi pour faire le film La Bataille d'Alger. J'étais en Italie, pour prospecter le marché du cinéma et j'ai rencontré Pontecorvo, un ex-communiste et réalisateur d'un film intitulé Capo. Je lui ai parlé de mon projet qui l'a intéressé. Je l'ai convaincu et on s'est mis d'accord pour réaliser La Bataille d'Alger. Après la nationalisation du cinéma, j'ai laissé tomber la caméra pour la plume. Ce que j'ai mémorisé, en plus de la documentation que j'avais collectionnée, m'a permis de rédiger les trois premiers tomes de mon ouvrage sur la Bataille d'Alger. Le quatrième est un recueil de tout ce que j'ai vécu. Il paraîtra bientôt. Je lis tout sans négliger le rôle que je m'assignais pour continuer d'écrire sur la guerre de libération qui pour moi n'est pas terminée. La révolution été déclenchée en novembre 1954 et s'est achevée en juillet 1962. On a eu 1,5 million de martyrs. Mais il ne faut jamais oublier ceux qui sont tombés au champ d'honneur lors des différentes insurrections menées notamment par l'Emir Abdelkader qui a combattu durant 17 ans, El Mokrani, Bouamama, sans oublier la révolte des Aurès, les massacres de mai 1945 à Sétif et Kherrata, et du 2 mai à Alger. Et si nous comptabilisons toute la période coloniale, soit plus de 130 années, nous trouverons qu'entre 20 à 25 millions de martyrs se sont sacrifiés pour la libération de ce pays. Quel est votre message pour les jeunes ? Le message que je voudrais adresser à ces nouvelles générations est de penser à tous ceux qui se sont sacrifiés pour l'indépendance de notre pays et ceux qui ont été torturés durant la période 54-62. J'ai toujours raconté cette histoire aux étudiants. Nous avons posé deux bombes à Alger. Quatre jeunes ont été arrêtés et condamnés à mort. Ils ont tous été exécutés le 20 juin 1957. Le premier a été guillotiné à 3h25 devant les trois autres. Le deuxième a été exécuté à 3h26, le troisième à 3h27et le dernier à 3h28. Soit une minute d'intervalle entre chaque exécution. Je veux qu'ils aient des pensées pour ces martyrs et pensent à l'avenir du pays. Faire une révolution du savoir pour une nation prospère, est mon message à toute la jeunesse algérienne. Entretien réalisé