«Si après le relogement des gens de Diar El Kaf les autorités ne s'occupent pas de notre cas, je vous jure que nous allons provoquer des émeutes à grande échelle !» Depuis hier matin, les habitants du bidonville Sonatro de Oued Koreiche, dont la plupart sont originaires de la commune, menacent de créer des désordres publics si les autorités ne les relogent pas. Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Il n'y a pas meilleure expression pour expliquer le climat malsain qui prévaut actuellement dans la commune de Oued Koreiche, plus précisément à la cité Diar El Kaf, anciennement appelée La Carrière Jaubert. En fait, le recasement, hier et aujourd'hui, de 350 familles de la cité a mis à rude épreuve la patience des centaines d'autres familles du même quartier, mais occupant des baraques au bidonville dit Sonatro. Hier matin, au moment où les familles concernées par le relogement préparaient leurs affaires, les habitants de Sonatro criaient leur détresse à qui veut les entendre. La plupart des résidents étaient sortis dans la rue afin d'assister en spectateurs au départ des gens vers d'autres cités à Draria et Souidania. Des dizaines de femmes étaient regroupées à l'entrée du site en se défoulant verbalement sur les autorités locales, entendre la wilaya déléguée de Bab El Oued, qui se serait désintéressée de leur souffrance. Les occupants cherchaient à s'exprimer à la presse, mais surtout à la télévision. La presse écrite était là, la télé, non. Le Temps d'Algérie a été amené à faire le tour du baraquement, au milieu des égouts fuyant dans les ruelles et des masures rongées par l'humidité. «Nous ne sommes pas contre le relogement de ces familles, au contraire, je leur dis mabrouk alihoum. Mais où sommes-nous dans tout cela ?», crie une femme, secrétaire de son état. La tension montait de plus en plus à mesure que les occupants se rassemblaient dans un coin du bidonville. Il y avait là des femmes, quelques hommes et beaucoup d'enfants qui n'avaient pas rejoint l'école à cause de la grève paralysant les établissements scolaires à l'échelle du territoire national. Les menaces d'investir la voie publique sont claires et précises. «Je vous demande de l'écrire. Si après le relogement des gens de Diar El Kaf les autorités ne s'occupent pas de notre cas, je vous jure que nous allons provoquer des émeutes à grande échelle !», menace un homme, la quarantaine, avec un air d'une grande détermination. Cet avertissement est à prendre au sérieux parce que, curieusement, toutes les personnes qui s'étaient confiées au Temps d'Algérie, par groupe ou séparément, parlaient et menaçaient de créer des désordres publics. Même les enfants étaient de la partie. «J'exige qu'on soit relogé demain (aujourd'hui, ndlr), sinon nkhaltouha !», s'écrie une très belle petite fille d'à peine dix ans. La colère mal refoulée, les concernés savent que l'APC n'est pas directement concernée par leur relogement, mais ils lui reprochent vivement de ne pas les défendre ou de s'enquérir de leur condition de vie des plus dramatiques. Affrontements de Bab El Oued : une affaire chawarma Ces menaces de provoquer des émeutes sont-elles sérieuses ? Dans la nuit du 13 octobre, des affrontements ont eu lieu entre des groupes de jeunes, à Bab El Oued, armés de couteaux et de barres de fer. Conséquence : des dizaines de voitures ont été saccagées et plusieurs personnes blessées, parce que poignardées ou battues. S'exprimant sur cet incident, le ministère de l'Intérieur a écrit ceci dans un communiqué rendu public : «Deux jeunes se sont bagarrés et la situation a dégénéré dans la nuit, lorsqu'à 00h30, un groupe de 30 personnes, des mineurs pour la plupart, ont tenté de venger leur ami. Ce qui a provoqué beaucoup de bruit dans le quartier silencieux. Les habitants ont alors commencé à jeter des bouteilles de leurs fenêtres. Les policiers sont intervenus afin de les séparer, et sur leur chemin, les jeunes ont vandalisé 21 voitures». Au niveau de Sonatro, les gens se rappellent toujours de l'incident qui a dégénéré en affrontements. Ils confirment au Temps d'Algérie que tout a commencé par une «affaire chawarma». Un jeune de la cité Diar El Kaf, raconte-t-on, avait pris l'habitude de prendre des sandwiches dans une gargote du jardin Taleb Abderrahmane sans payer. Dans la nuit du 13 octobre, il a été tabassé à cause de cela. Pour se venger, le jeune est monté vers la cité, convoqua des amis, dont des gens de Sonatro, avant de redescendre à Bab El Oued et semer la pagaille. «Cette fois-ci ça sera pire», prévoit-on. La seule énigme reste la date. Les uns proposent de passer immédiatement à l'action, les autres parlent d'un délai de deux semaines et un troisième groupe propose de se faire entendre après le match Algérie-Egypte qui se jouera au Soudan mercredi. Les élus de l'APC de Oued Koreiche sont au courant de ce climat d'émeute qui règne dans ce bidonville, le plus important site de la commune en termes de nombre des familles résidentes (l'APC en a recensé 450). Au sujet de cette colère, un élu se veut direct : «Ils ont raison !» Opération tiroir La 4e édition en cours La cité Diar El Kaf a connu hier une effervescence des grands jours. Dès 6h du matin, le transfert de 261 familles vers Draria et Souidania a commencé, alors 89 autres familles resteront sur place (en tout 350). Pour le besoin de l'opération, un nombre très important de travailleurs des établissements de wilaya, tels Asrout, Net-com, Edeval, ont été mobilisés. Ils étaient chargés d'aider les familles à faire sortir leurs affaires et à les mettre dans les camions devant les transporter vers leur nouveau lieu de résidence. D'ailleurs, ils étaient les seuls représentants de la wilaya sur le site, les responsables ont préféré se présenter directement dans les lieux destinés au relogement. A 10h, des milliers de gens se trouvaient dans et autour du bâtiment à évacuer. Les occupants arrachaient les fenêtres afin de les prendre avec eux. Les femmes, de temps en temps, lançaient des youyous de joie. «On attendait ce jour depuis très longtemps. On a failli même en perdre espoir», affirme un bénéficiaire. La cité baigne toutefois dans une grande anarchie. Les ordures sont partout. Chaque coin est une excuse aux résidents pour créer une décharge sauvage. Selon l'APC, cette opération est la quatrième du genre. Elle permettra de faire évacuer 186 cellules (grandes chambres) et donnera lieu à 106 «logements requalifiés» à réaliser. Une fois cette étape terminée, il restera une dernière opération. Celle-ci portera sur l'évacuation de 188 cellules abritant actuellement 310 familles. Pour le moment, aucun échéancier n'a été établi. «L'évacuation aura lieu en fonction de l'état d'avancement des travaux de construction dans les chantiers», nuance-t-on. L'«opération tiroir», rappelle-t-on, a été lancée en 2000. Au programme : 790 cellules (1029 familles) et 145 baraques (145 familles) à évacuer, autrement dit, 1174 étaient concernées et 444 «logements requalifiés» devraient être obtenus après des travaux à réaliser dans les cellules. La première opération de requalification a été organisée en avril 2001 (120 cellules évacuées), la deuxième en avril 2003 (106 cellules) et la troisième en juillet 2004 (191 cellules).