Depuis quatre jours, les familles de la commune d'Oued Koreiche, exclues de relogement samedi et dimanche derniers, ont été abandonnées dans le chantier de la deuxième rocade sud d'Alger, tronçon des Eucalyptus. Croyant qu'elles allaient être recasées comme promis par les autorités, elles ont accepté de monter dans les camions sans savoir qu'elles ont été mises devant le fait accompli. Près de 200 familles issues des bidonvilles de Sonatro (Diar El Kaf), Fontaine Fraîche et la Bouchraye, tous situés dans la commune d'Oued Koreiche, ont été jetées à la rue sans ménagement et leurs baraques aussitôt démolies pour rendre impossible un retour sur les lieux. L'évacuation des trois sites a tout l'air d'une déportation. Les responsables de l'opération de recasement n'ont pas trouvé mieux que d'abandonner pères de famille, femmes enceintes, vieilles malades et personnes handicapées le plus loin possible de leur commune d'origine. Après cinq heures d'errements, les exclus du relogement ont atterri dans la commune des Eucalyptus, précisément sur le chantier de la deuxième rocade sud d'Alger (Boudouaou-Zéralda). Le scénario est diabolique : dans l'après-midi de samedi dernier, la population de Sonatro et de Fontaine Fraîche, heureuse de monter dans les camions pour rejoindre sa nouvelle résidence, a été progressivement transférée vers les parkings attenant au stade olympique 5 Juillet. C'est là qu'elle a passé la nuit à la belle étoile. Dès les premières heures de la matinée de dimanche, le dispatching des familles sur les sites d'accueil a commencé. «Les camions ont quitté le parking du stade 5 Juillet à 6h. Nous avons erré sur les autoroutes pendant cinq heures. Cela a provoqué des bouchons monstres. A la fin, vers 11h, nous sommes arrivés ici aux Eucalyptus», raconte un père qui vivait à Sonatro. Il fait parti des quarante premières familles orientées vers le chantier de la deuxième rocade, sur le tronçon reliant les Eucalyptus à la commune de Baraki. Quelques heures après, elles étaient rejointes par d'autres originaires de Fontaine Fraîche et la Bouchraye où elles vivaient depuis la fin des années 1950. Sur place, les concernés ont trouvé une commission chargée de revérifier les listes. Le wali délégué de Bab El Oued, Saïd Méziane, y était aussi. C'est là que les exclus ont appris qu'ils sont exclus ! C'était suffisant pour amener, par exemple, une femme enceinte à subir une fausse couche, selon de nombreux témoins. La maman a été transférée à l'hôpital ; le bébé n'a pas survécu au choc. La notification des refus a été immédiatement suivie de dépôt de recours. Au total, quelque 190 recours ont été introduits, d'après le wali délégué, cité par la presse. Des promesses de les étudier dans les meilleurs délais ont été données. Et puis, plus rien. «Patientez !», aurait même déclaré M. Méziane à ses concitoyens lâchés dans la nature. Les membres de la commission, qui ont travaillé sous une forte escorte de la Gendarmerie nationale, sont repartis laissant les infortunés sur place. Cela dure depuis quatre jours. Hier en début d'après-midi, rien n'a été encore décidé sur leur devenir. Seront-ils relogés ? Personne ne sait avec exactitude de quoi est fait demain. Un drame humain Dans la bouche des responsables de l'opération de cette semaine, le transfert s'est déroulé à merveille. Pourtant, tout indiquait un coup de force dès le début. Contrairement à ce qui a été annoncé mercredi, par la wilaya, la dernière phase en date du programme portant recasement des familles habitant les sites précaires, a été organisée plus tôt que prévu. Attendue pour dimanche et lundi, l'évacuation des trois baraquements d'Oued Koreiche a été organisée dès samedi après-midi. Le lendemain matin, c'est la démolition des baraques qui a été engagée à grand renfort matériel et humain à Sonatro et Fontaine Fraîche. Les exclus ont été mis devant le fait accompli. Par un abus de confiance, ils ont consenti à quitter les bidonvilles sans savoir où aller exactement. Là où ils se trouvent actuellement, ils sont livrés à eux-mêmes. A l'entrée du chantier, l'on remarque la présence de plusieurs camions de la Gendarmerie nationale. Les tuniques vertes préfèrent se refugier dans leurs véhicules, à l'abri de la chaleur, de la poussière et des explosions de colère des familles. Plus loin, c'est un champ de camions de moyen et petit tonnages qui sont toujours chargés des meubles et autres affaires. Les propriétaires attendent un geste des autorités. «J'ai mon camion bloqué ici depuis quatre jour. Je compati pleinement au devenir de ces gens. C'est vraiment déplorable de les voir abandonnés de cette manière. Même nous, les chauffeurs, nous sommes pris en otages. Nos camions sont immobilisés. Chaque fois que nous demandons des explications aux responsables, notamment le wali délégué de Bab El Oued, ils nous disent que cela ne les regardent pas. Mais qui est responsable de cette situation ?», s'emporte un chauffeur. Les jeunes et les hommes, en groupe, se mettent un peu partout. Les autorités ont tellement frappé les esprits que les gens ont arrêté de réfléchir. Dans la matinée, ils ont tenté de fermer la route à la circulation automobile. L'intervention de la gendarmerie a été rapide et dissuasive. Les filles, les femmes et les vieilles se cachent sous les arbres. Les exploitants de la ferme agricole avoisinante se sont mobilisés afin de les empêcher d'y pénétrer pour faire leurs besoins ! Côté assistance, c'est l'indifférence générale. A la fin de la troisième journée, les familles ont reçu des sandwiches (du cacher). La commune des Eucalyptus est venue installer une citerne sur laquelle on peut lire : «Eau non potable.» Des bouteilles d'eau minérale et des baguettes de pain sont distribuées. Voilà en gros l'aide humanitaire à laquelle des centaines de personnes ont eu droit. De temps à autre, on voit des visiteurs arriver en voiture au campement : ils viennent récupérer des proches pour leur offrir l'hospitalité. Les explications de la wilaya Prenant les devants, le cabinet du wali a rendu public hier après-midi un communiqué où il s'explique sur le recasement des gens d'Oued Koreiche. «Cette opération a fait l'objet de recours de la part des familles dont les dossiers n'ont pas été retenus par la commission de validation ad-hoc et concernent les sites de Bouchraye, Sonatro et Fontaine Fraîche», indique le cabinet, sans préciser le nombre des recours. «L'examen approfondi» des recours présentés a rejeté, selon le communiqué, les dossiers présentés après le recensement opéré en 2007 par la wilaya «dans le cadre du programme d'éradication de l'habitat précaire», les éclatements à l'intérieur d'une même famille et les familles n'ayant pas présenté de dossier dans le cadre de l'éradication des trois sites, entre autres. A la fin, seuls 38 recours ont été retenus (21 du site Bouchraye, 9 de Sonatro et 8 de Fontaine Fraîche), précise-t-on. Le cabinet reste silencieux sur le devenir des familles abandonnées sur le chantier de la deuxième rocade, mais ne ferme pas toutes les portes. «Il reste entendu que tous les requérants ont la possibilité de formuler des demandes de logements dans le cadre des différentes formules qui leur sont offertes par l'Etat et qui seront traitées dans la transparence et l'équité», conclut le communiqué.