En dépit d'une loi l'interdisant depuis 1966, la mendicité prend une ampleur inquiétante dans notre pays, dans la capitale notamment. Nous sommes aujourd'hui harcelés par des hommes, des femmes et des enfants qui demandent l'aumône à tous les coins de rue. Verra-t-on un jour les bébés prendre la relève, déjà qu'ils sont utilisés par les adultes comme appât pour sensibiliser une éventuelle âme charitable ? Qui sait. Peut-être qu'un jour les scientifiques découvriront que le phénomène est transmissible génétiquement... La loi pourtant punit la mendicité d'un à six mois de prison ferme. On les croise aux arrêts de bus, à l'entrée des mosquées, devant les banques, les boulangeries, les restaurants… Bref, là où il est possible d'attendrir les âmes sensibles sur leur sort. Solliciter les gens, voire les harceler pour leur soutirer quelques dinars, l'exercice est devenu aujourd'hui un véritable métier qui a pour théâtre la rue et dont les comédiens sont de vrais charlatans. «Visages cuivrés» comme on dit chez nous, audacieux et même vulgaires, ces mendiants exercent leur profession juteuse qui ne nécessite aucun diplôme mais qui rapporte gros. Sauf que pour tendre la main, ce n'est pas donné à tout le monde. Il suffit de l'endurance, d'être disponible toute la journée, debout ou assis sur un carton, exposé au soleil ou au froid glacial. A Birkhadem, plus exactement à La côte, les mendiantes font des permanences, et le rendez-vous quotidien n'est jamais raté. Elles se propagent partout, le long de l'autoroute où les embouteillages forcent les automobilistes à s'arrêter… pour recevoir la visite presque inquiétante de ces hordes de mendiantes. Une file de voitures qui s'arrêtent, et c'est la ruée vers les malheureux automobilistes. Les femmes et les enfants qui se relaient sur l'autoroute ne se lassent pas de tendre la main en faisant des grimaces de comédiens qui ont pour but de sensibiliser les âmes charitables et les personnes vulnérables. Il est à signaler qu'au même endroit, il y a un vendeur de journaux qui vend ses tabloïds aux automobilistes… et gagne sa vie dignement. Qu'en pensent les services de police ? «En un mot comme en mille, ils en ont assez d'interpeller à chaque fois ces mendiants qui envahissent les rues et de les présenter - en vain - aux centres spécialisés.» C'est en résumé ce que nous a confié un officier de la police qui a choisi l'anonymat. «Hélas, dès le lendemain à l'aube, on les retrouve chacun à sa place, comme si nous n'étions jamais intervenus. L'interpellation se fait dans un cadre purement social car on ne les présente presque jamais à la justice qui a pour rôle de les punir. Vu la surpopulation carcérale qu'on connaît, il est difficile d'arrêter et d'emprisonner ces filous.» Une source informée nous indique que le ministère de la Solidarité nationale reçoit presque tous les jours des mendiants afin de leur offrir le nécessaire. Mais c'est un cercle vicieux qui ne débouche sur aucune issue. «Les services de police nous ramènent de nombreux mendiants qui invoquent le besoin et la pauvreté, mais après une journée, ils se sentent prisonniers et préfèrent retourner dans la rue qui leur rapporte gros sans qu'il ne dépensent la moindre calorie, que de rester entre quatre murs nourris, logés et blanchis», dira notre interlocutrice. Récemment, un crédit faramineux a été prévu pour l'ouverture d'une enquête visant à déterminer les causes et trouver une solution à ce phénomène qui gangrène notre société. Cette enquête sera menée sous l'égide du ministère de la Solidarité nationale, en collaboration avec la sûreté nationale. A ce jour, aucune date n'a été fixée pour le lancement de cette enquête. Il est question de lui consacrer une enveloppe de vingt millions de dinars. «Les causes sont connues et les solutions toutes trouvées, mais ce qu'il faut, c'est distinguer d'abord les vrais mendiants des arnaqueurs et des mendiants professionnels qui se sont constitués en une véritable maffia.» Le reste découle d'un problème social et mondial : celui de la pauvreté et de la mauvaise distribution des richesses. «Mendiante moderne» A Alger-Centre, une «mendiante moderne» s'est fait connaître auprès de nombreux citoyens non pour sa façon de demander l'aumône mais par sa classe et sa propreté. «On n'a jamais vu cela auparavant», nous dit un commerçant chez qui elle vient s'approvisionner, moyennant des dinars sonnants et trébuchants. Prétendant se prénommer Fatiha, cette dame, âgée de 43 ans, nous confie tout de go : «Ce que vous gagnez en un mois, moi je le touche en une journée.» On ne trouvera pas une charlatante aussi honnête ! Assise sur une couverture pliée, portant une robe très propre, des sandales blanches qui montrent des pieds propres et lisses, Fatiha est coiffée d'un foulard, légèrement glissé en arrière où l'on peut remarquer de fines mèches blondes. Fatiha tient contre elle un bébé apparemment bien nourri et, devant elle, un panier où l'on entrevoit des couches, des biberons et de l'eau minérale. Fatiha nous déclare le plus normalement du monde ceci : «Je ne crève pas de faim et j'ai où loger mais puisque les gens nous donnent de l'argent, pourquoi ne pas en profiter ?» «Moi, au moins, je ne vole pas et ne commets pas de péchés : je tends la main et les âmes charitables me donnent. Ça vous pose un problème ?» Enfin, «il n'y a que les mendiants qui puissent compter leurs richesses».