En matière de développement, Rahmania est la dernière des communes d'Alger. Pourtant, trois usines pharmaceutiques, dont l'une spécialisée dans le médicament vétérinaire, et une minoterie reprise par un investisseur privé y sont implantées. Rahmania, une ville qui peine à sortir de son état primitif, celui d'un douar où tout et rien cohabitent tristement. Le cyberparc d'un côté et le gourbi de l'autre, l'écart est si grand que le commun des mortels peut faire la différence. C'est pourtant une commune qui a gagné ce statut depuis 1984, avec le dernier découpage administratif. Vingt-cinq ans se sont écoulés mais la circonscription demeure toujours au stade de village. D'après le dernier recensement, la commune abrite quelque 7000 âmes, majoritairement des paysans. Mais par ces temps qui courent, l'agriculture a laissé place au béton, et les gens, ici, agonisent lentement. Un dispensaire, une brigade de gendarmerie, une maison de jeunes, une école primaire, un collège, un bureau de poste, un siège de l'APC et cinq magasins au maximum. De quoi tenir la vie des citoyens à un seul fil, celui de la survie. Un paradoxe criant Le cyberparc, ce lieu de haute technologie, pour l'ensemble des citoyens de la commune, ne représente rien face à la misère qui ronge les habitants. «C'est un lieu de savoir pour les gens d'ailleurs», commente Aziz. Inauguré en novembre 2008, le cyberparc compte deux tours reliées par un dôme en verre. Un centre d'affaires qui comprend une trentaine de bureaux de 22 à 50 m2. Des salles dotées de moyens de dernière technologie en matière d'informatique et de communication, des salles de réunions dotées de la visioconférence. Des bureaux avec internet à très haut débit. La sécurité est de mise dans cette enceinte. Pour preuve, toutes les portes s'ouvrent à l'aide d'une puce magnétique codée. Des compteurs de personnes, des détecteurs d'intrusion et de mouvements sont installés dans tout le bâtiment. C'est le siège de la CIA made in Algeria. L'autre face du cyberparc est nommé Hôtel des entreprises. C'est une citadelle en verre qui offre plus d'espace aux entreprises algériennes, et uniquement algériennes. Un restaurant 5 étoiles y verra le jour incessamment. Le joyau sera «branché» à une bretelle de l'autoroute est-ouest et une voie ferrée le desservira. Le mètre carré au sein de ce majestueux site est cédé à 1000 DA. Et Rahmania dans tout cela ? «Rien, nada», réplique Abderrahmane. Ce jeune chômeur a pourtant déposé sa candidature pour un poste d'agent de sécurité depuis deux ans maintenant, mais «rien, nada», pour reprendre ses propos. «La vie à Rahmania est faite de galettes et de figues sèches, comme au bon vieux temps. Nous récoltons le vent de la région et sa pollution, le reste est offert sur un plateau aux ‘‘barawia''.» En matière de développement, Rahmania est classée en dernière place des communes d'Alger. Pourtant, trois usines pharmaceutiques, dont l'une spécialisée dans le médicament vétérinaire, et une minoterie reprise par un investisseur privé y sont implantées. Mais aucun citoyen de cette localité ne figure sur la liste du personnel de ces entreprises. Saïd, furieux, réclame : «Ce sont des usines construites sur nos terres, nos enfants sont pour la plupart au chômage, sauf ceux qui travaillent en dehors de la ville, et personne ne veut intervenir pour nous rendre justice.» Mustapha renchérit : «Pourtant, le président de la République a dans l'un de ses discours mis un point d'ordre sur ce cas justement. Il a dit que chaque investissement implanté dans une commune donnée doit profiter en premier lieu aux enfants de ladite commune.» Le barrage des douanes ! Si nombre de services publics sont absents à Rahmania, les douanes algériennes sont, elles, bizarrement présentes. Un mot qui écorche les oreilles ! Dans une ville où tout est multiplié par zéro, il existe un service des douanes ? Erreur, c'est l'appellation donnée à la place principale de la ville. Le pourquoi est évident, la réponse aussi : tout le monde, sans exception, se retrouve dans ce lieu, et tout le monde guette tout le monde. Ne dit-on pas que l'oisiveté est mère de tous les vices ? «Aucun citoyen ne passe inaperçu, même le contenu des sachets est connu de tous. Nous sommes là du matin au soir, y a rien à faire», explique Athmane. Au moment où nous discutons avec ces jeunes en furie, le camion chargé de bouteilles de gaz butane arrive. Des enfants accourent avec des brouettes remplies de bouteilles vides. Des chérubins mis à rude épreuve. Ils poussent des brouettes qui dépassent leur poids et peuvent même être la cause d'accidents, de malformations et de maladies futures. Mais ont-ils vraiment le choix ? Les enfants comme les grands d'ailleurs sont tous en bottes en caoutchouc. C'est la mode à Rahmania en attendant Nike, Adidas et consorts ! Les quelques logements en construction sont restés à l'état de carcasses. «Les gens n'ont pas d'argent. Déjà qu'ils ont du mal à boucler les fins de mois, projeter l'achat d'un appartement est difficile, voire impossible», souligne Saïd. Vous voyez, à quelques kilomètres de la capitale et nous sommes encore sous perfusion, nous cuisinons et nous chauffons au gaz butane. Ça a trop duré et je vous assure que d'ici peu de temps nous allons réagir en occupant la rue», avertit Nabil. Le café des délices ! Le domino est le sport roi à Rahmania. Même le P/APC s'y met, histoire d'être proche de ses concitoyens et partager leur misère. Son travail à la commune est jugé acceptable par les citoyens. «Il essaye d'apporter un plus à notre commune, contrairement aux autres P/APC qui se sont succédé», ajoute Mourad. Les jeunes à Rahmania n'ont rien d'autre à faire, bien que la maison de jeunes leur offre de temps à autre une bouffée d'oxygène. Cette ville qui a beaucoup souffert des affres du terrorisme continue malgré les différents plans de développement à souffrir. Les causes sont multiples, les solutions existent mais l'application est loin derrière. Mokrane nous a conduit vers le seul café de la ville qui ouvre le soir, à partir de 18h jusqu'à minuit. «Ici, les jeunes vivent la nuit, c'est incroyable mais je vous assure que c'est vrai. La nuit, notre sport favori est le jeu de dominos et le matin ou durant toute la journée nous sommes soit à la douane, soit nous dormons.» Les quelques jeunes rencontrés sont pleins d'énergie et veulent réellement prendre leur destin en main. Mais avec quoi, nous dit Athmane : «Ce ne sont pas les idées qui manquent mais les moyens, nous appartenons à la plus pauvre commune de la capitale, les usines que vous voyez ici ont toutes leurs sièges sociaux ailleurs, donc on ne bénéficie pas de leur rente.» La commune de Rahmania, qui recèle des terres agricoles fertiles de grande superficie. Aussi, la jeunesse qui aspire à un avenir meilleur, pour peu que les pouvoirs publics lui donnent les moyens nécessaires, veut coûte que coûte se prendre en main. Une jeunesse qui ne jure que par les manifestations de rue, une jeunesse qui n'attend que la goutte de trop pour exploser. «Vivre dans un ghetto ou un gourbi au moment où le pays jongle avec les milliards de dollars, je pense que c'est là la limite de l'absurde», conclut Saïd.