Des dizaines d'interventions chirurgicales attendent d'être effectuées. Plusieurs dizaines de rendez-vous pour des diagnostics et des consultations attendent. Des blocs opératoires sont quasiment à l'arrêt. La place est désormais cédée à une diminution remarquable de l'activité des médecins spécialistes en grève depuis plusieurs semaines. «On est passé d'une moyenne de quatre à cinq interventions par jour jusqu'à une, voire zéro intervention par jour. On ne rentre au bloc qu'en cas d'extrême urgence pour sauver des cas qui ne peuvent pas attendre», nous confie un médecin spécialiste à l'hôpital Mustapha. «Ça arrive que des chirurgiens et des maîtres assistants nous interpellent pour assurer un certain nombre d'actes médicaux qui entrent dans le cadre du processus d'hospitalisation des patients, nous répondons par le refus et nous demandons à ce que notre grève soit respectée comme nous l'avons fait pour les mouvements qu'ils ont observés par le passé», nous dira un autre. Ce cumul des reports et des déprogrammations a eu son impact sur des milliers de patients qui n'ont d'autre choix que d'attendre que la grève soit achevée. «C'est la troisième fois que je viens pour avoir un rendez-vous pour un important examen médical pour ma sœur. Mais je n'arrive toujours pas à obtenir ce rendez-vous en raison de cette grève. On m'a encore demandé de revenir alors que son cas peut s'aggraver», nous dira une femme rencontrée à l'hôpital. «Je ne sais jusqu'à quand cette situation va-t-elle durer, en tous cas ça nous fait perdre beaucoup de temps et ça joue sur notre santé», nous dira-t-elle. Les citoyens livrés à eux-mêmes Les soins assurés dans ces structures de santé rendent un grand service aux milliers de malades qui insistent à se faire examiner par des médecins dans des hôpitaux. «L'hôpital est pour nous le seul moyen, voire le meilleur pour se faire soigner. Les consultations dans des cliniques privées sont chères et inaccessibles pour la majorité des citoyens. Une intervention chirurgicale coûte plusieurs millions alors que les coûts sont abordables au sein des hôpitaux», nous dira un autre malade hospitalisé. «Mais cette grève a complètement chamboulé le programme», nous dira un autre malade. «Je suis hospitalisé depuis trois semaines. Le service n'est pas terrible, mais on doit faire avec. Ce qui m'intrigue c'est que ça a pris plus de temps que prévu, et moi je n'aime pas trop les hôpitaux», nous dira un jeune. «J'ai été programmé à plusieurs reprises pour être opéré mais cela n'a pas été possible en raison de la grève. Nous sommes obligés d'attendre», dira un jeune. A cela s'ajoutent les tracasseries subies par les patients qui viennent de l'intérieur du pays. Outre la fatigue du voyage et les dépenses occasionnées, les patients voient souvent leur rendez-vous reporté en raison de la grève. Même pour ce genre de cas, c'est l'urgence qui détermine l'admission du patient. «En période de grève, la tension est plus importante sur les hôpitaux du centre. Le mouvement est en général massivement suivi dans ces régions, ce qui pousse les patients à se rendre à Alger dans l'espoir de se faire soigner. Ce n'est malheureusement pas forcément le cas.» Beaucoup de citoyens s'adressent aux privés, une solution qui n'est pas offerte à tous vu les coûts des soins. Avec tous ces retards certains praticiens disent que le patient n'est pas pénalisé. «On ne peut pas pénaliser un patient. On fait l'essentiel pour qu'il ne souffre pas trop mais en général on ne peut pas arriver jusqu'à le pénaliser et l'exposer au danger», nous dira un infirmier. «Le fait que les médecins assurent le service minimum réduit beaucoup de l'impact de ce débrayage. Les pouvoirs publics profitent justement de cette situation. Nous, on le fait par acquis de conscience. Notre métier nous dicte de bien prendre en charge les malades, et non le contraire. Mais là, on ne donne aucune importance à notre mouvement alors que beaucoup de choses manquent dans la gestion actuelle, même si nous ne pouvons pas prendre en otage le malade.» Révision de la carte sanitaire «La grève est en général largement suivie dans ces régions où les structures de santé privées ne sont pas nombreuses. Cette situation fait que les patients se déplacent sur Alger dans l'espoir de se faire soigner. Mais la grève compromet tous leurs plans. Ils se déplacent jusqu'à Alger et repartent sans qu'ils ne soient satisfaits», nous explique un médecin. Outre la révision du statut des médecins spécialistes, largement revendiqué par les grévistes, ce débrayage vise également à revoir la carte sanitaire et la gestion catastrophique des différentes structures de santé. «On ne peut plus se permettre un tel patchwork des fonctions où chacun intervient comme il veut et là où il veut. La santé publique est soumise à la loi du hasard. Il est absolument important de définir les grades, faire des plans de carrière et situer les responsabilités dans toutes ces structures. Il est certes attendu de cette loi une amélioration des conditions de vie du médecin à travers une revalorisation de son rôle dans la société et la prise en charge de ses préoccupations socioprofessionnelles mais il est important de forcer les pouvoirs publics à consacrer une meilleure prise en charge pour les patients qui recourent aux structures de la santé publique», nous explique le docteur Sobaihi, réanimateur à l'hôpital Mustapha. Un secteur non productif et pas rentable : scandaleux ! Il estime que la dotation des structures de santé en matériel dernière génération et la réhabilitation des structures ne sont pas le seul garant pour une prestation de qualité offerte aux citoyens. «Il est plutôt question de ramener un personnel qualifié et surtout prêt à assumer sa responsabilité pleinement en exerçant son métier avec amour et patience. Cela ne peut pas se faire lorsque nous bafouons les droits des médecins et effaçons les efforts colossaux qu'ils ont fournis dans les études puis dans la perfection de leur métier», a-t-il ajouté. Les médecins délégués du syndicat national des praticiens spécialistes ont été scandalisés par les réponses fournies par leur tutelle à la commission de santé de l'APN, qui a organisé une séance pour trouver une solution. «Le ministère a, comme d'habitude, reconnu la légitimité de nos revendications mais sa réponse a été scandaleuse. Les représentants ont affirmé aux députés de l'APN que le secteur de la santé est non productif et pas rentable.» C'est une déclaration qui remet en cause la réforme du secteur de la santé qui a été un choix des pouvoirs publics et non notre propre choix à nous. Il est aussi important de rappeler que le meilleur investissement à faire est dans l'homme. C'est la santé de l'homme qui fait de lui un être valide capable d'apporter quelque chose à ce pays. Maintenant s'il considère que la santé n'est pas importante, ça relève d'un autre débat et encore une fois les réformes ont été faites par les pouvoirs publics sans la moindre consultation des premiers concernés», nous dira M. Sobaihi. Notre interlocuteur rappelle également que beaucoup d'Algériens se font soigner à l'étranger et par des Algériens qui exercent là-bas. «Ces Algériens sont à la recherche d'un système de santé plus performant qui les pousse à aller ailleurs. Ils n'ont qu'à ramener ce même système de santé ici et faire profiter tous les Algériens», a-t-il conclu.