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«L'ENTV devrait faire des appels à projets»
Entretien avec Boualem Aïssaoui, réalisateur et producteur
Publié dans Le Temps d'Algérie le 02 - 02 - 2010

Boualem Aïssaoui est président de l'Association des producteurs audiovisuels (AVA) et de CIM Audiovisuel. Il a produit et réalisé plusieurs films documentaires et feuilletons dont Rachid K'sentini, Mohamed Iguerbouchène, une série de documentaires sur les artistes peintres et autres documentaires sur le patrimoine national.
Dans cet entretien, il nous parle de ses projets, mais aussi des relations entre l'ENTV et les producteurs algériens.
Nous avons constaté que vous êtes beaucoup plus branché sur le documentaire et le patrimoine national, est-ce un choix ?
Tout d'abord, je remercie le journal Le Temps d'Algérie d'avoir ouvert ses colonnes aux activités audiovisuelles et cinématographiques. Ici vous êtes à la société CIM Audiovisuel, créée en 1990, qui s'est investie dès son démarrage dans le créneau audiovisuel de films liés au patrimoine matériel et immatériel. C'est un choix. Certains choisissent la production de sitcoms, d'autres les variétés. Quant à moi, de par ma formation, mon itinéraire, j'ai fait ce choix.
Effectivement, on a eu l'occasion de voir à l'ENTV certains de vos films...
Oui, sur ce volet, nous avons réalisé une série de films documentaires sur des sites et monuments historiques, sur les traditions populaires, l'architecture... Nous avons réalisé 32 portraits d'artistes peintres.
Vous avez aussi rendu des hommages à travers vos films aux grands artistes et compositeurs de musique, tels que Mohamed Iguerbouchène et Rachid K'sentini...
Oui, ce sont des personnalités qui ont marqué la vie artistique et culturelle de l'Algérie. D'abord, comme je l'ai souligné, il y a eu des peintres de différents milieux et tendances artistiques. Quant à la fiction, nous avons Rachid K'sentini, un des fondateurs du théâtre algérien, qui a été réalisé en production exécutive pour la télévision.
C'est un feuilleton de 12 parties de 40 minutes chacune qui traite des moments majeurs de la vie et des œuvres de ce grand artiste, c'est un hommage à une personnalité du terroir qui est tombé dans l'oubli.
Mais il faut rappeler qu'en son temps, à travers le théâtre, à travers la satire sociale, il a su durant cette période coloniale fait passer des messages liés aux valeurs morales, aux fléaux sociaux pour essayer de «gratter» un peu sur la conscience nationale et sensibiliser les gens à la cohésion sociale, à l'unité et montrer aux gens l'injustice entretenue en eux et d'éveiller le désir de révolte.
Il y a en première lecture ici, le rire, mais derrière le rire il y a une profondeur. Et vous êtes quelqu'un qui suit de très près ce genre de production, donc vous savez ce que c'est. C'est à dire les nuances. Il y avait également un feuilleton dédié à Iguerbouchène, un grand compositeur célèbre, qui est aussi oublié. Très jeune, il a été formé à l'étranger suite à une rencontre avec un couple de touristes anglais qui a détecté en lui un talent de musicien, et avec l'accord de ses parents, ils l'ont pris avec eux pour le perfectionner dans cet art dans des académies de renom.
C'est un virtuose de la musique, il compose la musique du film Pépé le Moko où avait joué Jean Gabin dont plusieurs scènes ont été tournées à Alger. Dans le théâtre aussi, nous avons travaillé. Nous avons également réalisé des films institutionnels, dans l'événement «Alger capitale de la culture arabe», j'ai réalisé en tant que producteur exécutif une pièce de théâtre Madinet el hob de Abdelkader Tadjer.
Est-ce que vous allez continuer à travailler dans ce même créneau ?
C'est comme si je vous demandais à vous si vous allez changer votre métier de journaliste. Bien sûr ! C'est un choix qui est fait, c'est un métier passionnant, mais qui nécessite beaucoup de recherches. Et avec ce travail, nous contribuons à la valorisation du patrimoine national.
Et comme notre production est destinée à la télévision, c'est-à-dire un public familial de différentes générations, mais il y a un public jeune très important. Pour cette raison, je pense que l'ENTV a besoin d'un programme pour la jeunesse. C'est dans cet esprit que nous pensons ouvrir un créneau dans le cadre du patrimoine culturel et travailler en fonction de la demande. Je pense que les écoliers et lycéens ont besoin de connaître dans leur bagage ce que recèle l'Algérie en matière de patrimoine culturel.
Justement, pouvez-vous nous parler de vos rapports de travail avec votre partenaire l'ENTV ?
Les premières entreprises de productions audiovisuelles sont nées dans les années 1990 avec les journaux privés. Cependant, si les journaux ont leur réseau de distribution, pour le film ils ont un diffuseur et c'est la télévision.
Il faut reconnaître aux pouvoirs publics que dès les années 1990, ils ont accompagné la naissance et les premiers développements de ces entreprises. Ils ont demandé à la télévision de conclure des contrats d'achats de programmes, c'est important, car personne n'était un manager ou un producteur au sens propre du terme. Il s'agit de vendre à la télé des programmes.
Est-ce que l'ENTV dans ses statuts, sa configuration, était préparée à recevoir des produits d'entreprises privées ? Nous étions conscients de cela, c'est pour cette raison qu'on a essayé d'instaurer des canaux de communication avec la télévision pour faire connaître nos capacités, nos compétences et connaître ses dispositions, ses ressources pour créer, un esprit de partenariat.
A chaque fois qu'il y a un nouveau DG à la télévision, nous allons à sa rencontre pour lui expliquer qui nous étions, ce que nous voulons et de connaître les besoins de la télévision. Puis, compte tenu de la période difficile qu'a traversée l'Algérie, est-ce que la production audiovisuelle était une priorité ?
Cependant, malgré cette situation, la plupart des producteurs ont continué à travailler. Au départ, la télévision n'achetait que le droit de la diffusion, c'est dérisoire ! Parce qu'elle n'avait pas de traditions pour calculer le coût d'un produit local. Elle appliquait le coût des pays étrangers, alors que c'est un produit vendu à toute «la planète», ce n'est pas notre cas qui vendons notre produit à une seule chaîne.
Nous avons créé un comité composé de représentants de la télévision et des producteurs pour travailler sur les barèmes et les cessions de diffusion. Nous sommes arrivés à des résultats qui étaient encourageants à l'époque, mais insuffisants. Lorsque vous comparez le coût de l'investissement technologique et vous l'alignez aux coûts de fourniture de programmes et le coût de vente, la balance est déficitaire dès le départ.
Mais on a continué, pas à négocier, ce n'était pas le cas, car pour négocier, il faut que la partie qui achète soit dans le besoin ou dans l'obligation d'acheter, alors ce n'était pas le cas. Dans la mesure où le cahier des charges de l'ENTV ne prévoyait pas l'obligation d'acheter les programmes nationaux.
Depuis la fin des années 1990, il y a eu une nouvelle étape où la relation entre les producteurs et la télévision ne se situait pas uniquement au droit de diffusion, nous sommes passés à la production exécutive : c'est-à-dire que la télé se délaisse de ses charges internes qui étaient peut-être trop lourdes pour elle, pour se déployer dans l'information, le sport, le divertissement, elle a ouvert la porte à la production exécutive.
Cette formule qui a débuté en 2000, qui d'ailleurs existe à travers le monde, c'est-à-dire que la producteurs proposent à la télé des œuvres de fiction et débouchent sur un contrat. Dès le départ, le producteur a vendu tous les droits. Cette formule a donné ce qu'elle a pu donner, mais il ne faut pas dramatiser à outrance, c'est une œuvre de l'esprit et il n'y a aucune assurance sur la qualité.
Les résultats parfois sont bons, parfois moindres et parfois mauvais, puis on n'a pas d'instruments de sondage scientifique.
Je crois qu'il ne faut pas condamner quelqu'un lorsqu'il dérape, c'est à la télévision de proposer, qu'un projet passe par des étapes en toute transparence. Il faut mettre en place des règles culturelles, voire des règles d'éthique.
Quand on analyse ses 10 dernières années, on peut dire qu'il y a un élan de la production, à part quelques cas, il y a eu des résultats positifs. Peut-être que pour les élitistes ce résultat n'est pas satisfaisant, mais l'ENTV est une télévision à grand public, il faut donc être réaliste dans l'observation.
Il faut à mon avis accompagner les attentes de programmes audiovisuels et améliorer la qualité, on ne peut ouvrir la télé le même jour et en même temps à tous les producteurs. Elle doit faire des appels à projets.
Combien a-t-elle besoin de feuilletons, de sitcoms, d'émissions éducatives, lorsque le producteur connaît les attentes de la télévision, il va se préparer à l'avance. Il faut aussi mettre en place du mécanisme pour accueillir ces programmes. A l'époque, il n'y avait aucun mécanisme, nous avons souhaité qu'il y ait un conseil de production consultatif. Le porteur de projet alors peut présenter son projet devant le DG, le directeur de la production et le directeur de la programmation.
S'il y a un accord de principe, le producteur s'attelle à le développer ou à le présenter sous forme de scénario, il y a déjà une sécurisation qui s'établit et la motivation pour aller plus loin. Cette étape a donc donné un élan, mais elle laisse de nombreuses interrogations.
D'après les échos que j'ai eus, il y a actuellement une commission de lecture qui fait son travail honorablement. Cependant, lorsque le producteur dépose un projet au niveau de la télévision, c'est pour le réaliser, ce n'est pas pour l'éditer. Actuellement, d'après les informations que j'ai eues, il y a beaucoup de projets qui ont eu un avis favorable et qui attendent leur mise en œuvre, sous forme de production exécutive, d'achat de tous les droits ou de coproduction.
Donc, je dirai que la télévision devrait faire un appel à projets par genres et documentés, afin que les producteurs s'inscrivent dans ce programme. Elle devrait également quantifier ses besoins. Si elle veut atteindre la qualité, elle l'exprime bien à l'avance en mettant en place les structures, les ressources sur la base d'éléments crédibles avec un barème valorisant.
Le justificatif du producteur, c'est le prêt à diffuser (PAD), car on peut fournir un bon dossier comptable et un produit de moindre qualité. Pour arriver à la prééminence de la qualité du produit, ces mécanismes devraient être examinés. Aussi, ce n'est pas le producteur privé qui ne veut avoir affaire qu'à une seule télévision.
Est-ce que cette télé est en mesure de prendre en charge tous les projets fournis pour les producteurs par rapport à sa configuration ou ses ressources ?
Il y a un début d'ouverture du champ audiovisuel avec les chaînes satellitaires qui ont été mises en place. Maintenant, ces chaînes, pour constituer un marché devraient être dotées de ressources propres.
Lorsqu'on arrivera à une pluralité de diffuseurs avec Canal Algérie, La 3, la chaîne coranique, la chaîne amazighe, et les 5 autres chaînes en voie de création, nous régleront beaucoup de problèmes. La problématique est là.
Avez-vous des contacts avec le nouveau DG ?
Maintenant, le DG de l'ENTV a appelé les producteurs à une réunion, sans ordre du jour préalable, mais avec deux idées principales où il parle de partenariat, c'est déjà un bon signe.
Nous attendons que la date soit fixée. Nous savons nos préoccupations. D'abord, il y a des productions exécutives qu'il faut assainir, les dossiers financiers. Il y a des producteurs qui ont livré leurs produits et diffusés et qui à ce jour ont des difficultés de recouvrement.
J'ai appris qu'il y a des échéanciers qui ont été établis.
On parle des difficultés de trésorerie de la télévision, mais les répercuter sur les producteurs c'est l'affaiblir. Il y a des producteurs qui ont réalisé des productions à leur propre compte. Il y a aussi la valorisation des produits comme le documentaire, car actuellement il est minorisé sur le point de vue coût.
Il y a là la question de barème qui aura lieu prochainement, nous espérons qu'elle se déroulera dans un esprit d'échange et de communication pour arriver à des résultats. Il y a aussi d'autres questions : certains produits sont acceptés après visionnage de la direction de la production et sont refusés par la programmation, et cette situation pénalise et la télévision et le producteur, certains films ont été diffusés, mais «amputés» sans que le producteur ne soit au courant.
Il faut donc jouer le jeu de la clarté et de la transparence. Je pense que compte tenu du changement opéré dans l'audiovisuel régional, africain, nous devons rattraper le retard en mieux communiquant entre nous, dans la configuration qui existe en travaillant ensemble pour fournir aux pouvoirs publics des propositions de charte audiovisuelle qu'il s'agisse de création de canaux privés, publics ou semi-publics.
Et avec des capitaux privés nationaux, cela ne veut pas dire que si une équipe a «dérapé» on doit sanctionner notre volonté de faire de notre pays, où les images jouent un rôle prépondérant dans le monde qui l'entoure. Je pense que l'enjeu de l'image est aussi important que l'autoroute Est-Ouest, que le métro.
Si on arrive à initier le «chantier» audiovisuel avec les compétences nationales qui existent (et elles sont disponibles), avec des mécanismes de surveillance réglementaires, avec une charte, un cahier des charges, avec une autorité de l'audiovisuel, comme cela se pratique dans le monde, on pourra donner une meilleure image par rapport à ce qui est produit aujourd'hui.
Quelles sont vos relations avec les producteurs en tant que président de l'Association des producteurs audiovisuels (AVA) ?
Nous avons créé une association de producteur depuis maintenant une quinzaine d'année. Il y en a qui sont performants, il y a d'autres qui arrivent. Moi je suis partisan de la sanction du public, comme dans le sport, un joueur qui ne remplit pas les conditions dans 2 ou 3 matches, il est mis sur le banc de touche, ceci pour emprunter le langage des journalistes sportifs. Je pense que la dernière décennie a montré qu'il y a des scénaristes, des réalisateurs et des producteurs. Et l'ancienne génération doit reconnaître le talent de la nouvelle génération.
Des projets ?
C'est difficile de parler au nom de la société, ensuite parler au nom des confrères, d'ailleurs les propos que j'ai développés c'est au nom de l'Association des producteur audiovisuel. Pour mes projets personnels, bien sûr que j'en ai, sinon j'aurai cessé d'être producteur et mes confrères m'auraient retiré leur confiance. Nous avons un projet de feuilleton que nous avons proposé à l'ENTV, un projet documentaire sur le livre Voyage à travers le livre.
Nous avons également des projets avec des partenaires étrangers qui sont au stade de la production. Il y aura l'année prochaine l'événement «Tlemcen capitale islamique», il y aura certainement une réflexion pour un sujet ou adapter l'émission sur le livre à cet événement. Aussi nous ferons participer à ces projets des scénaristes, des écrivains…


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