Nul ne peut nier que Khraïssia a connu un boom en matière d'urbanisation. Une performance à attribuer aux P/APC de cette commune du Sahel algérois qui ont réussi à transformer cette belle région agricole en un bloc de béton ! Jadis, il faisait bon vivre à Khraïssia… jusqu'à l'arrivée des hordes sauvages qui ont détruit le peu de choses qui existait. Des années après, le feuilleton du béton revient, et une meute de loups affamés continue de ronger les petits carrés de terre. Nous arpentons les petites ruelles squattées illicitement par les nouvelles constructions, celles-là mêmes que les P/APC avaient octroyées à leurs bénéficiaires sur simple décision. Ces terres qui étaient dans un passé récent des champs où cohabitaient céréales et agrumes, cucurbitacées et vergers sont méconnaissables à cause du béton qui les a envahies. «D'ici peu, nous mangerons des comprimés vitaminés à la place des fruits et légumes», nous dit, amer, un vieux paysan. Au siège de l'APC, nous essayons de prendre attache avec les autorités locales. Le hasard a fait bien les choses, puisque, à notre arrivée, c'était jour de réception. Une file interminable de citoyens attendent le président de l'APC. En vain. «Le P/APC n'est pas là, il n'est pas venu aujourd'hui», claironne un agent. Les citoyens crient au scandale. «Nous vivons une situation lamentable : nous n'avons pas eu d'eau courante depuis l'Aïd El Adha, le réseau d'assainissement est tout nouveau et il n'est fonctionnel que depuis peu de temps. Le pire, c'est que le P/APC continue de nous dorloter avec des histoires débiles.» Nous avons suivi les habitants protestataires pour constater les dégâts causés par un entrepreneur indélicat. Les citoyens jurent de «brûler les engins» de cet entrepreneur et organiser un sit-in devant le siège de l'APC. Quand la montagne devient agricole ! Le P/APC de Khraïssia, nous l'avons retrouvé à l'œuvre dans un douar. Et quelle œuvre : la démolition d'une construction illicite qu'une famille a construite sur les hauteurs de la ville, sans permis de construire, cela va sans dire. Il était accompagné de quelques éléments de la gendarmerie et de la police. Deux engins et une pelle mécanique ont commencé leur travail de démolition. Apostrophé, le P/APC était stupéfait par notre présence. Il justifie sa décision, estimant que «si les gens n'arrêtent pas de construire sur des terres agricoles, nous allons importer notre nourriture des communes avoisinantes». Le P/APC de Khraïssia ne pipera mot sur les constructions somptueuses érigées dans la plaine par des barons et autres privilégiés de l'APC. «Ils se sont approprié des terres agricoles, ils ont construit des villas et des commerces», dénoncent quelques citoyens, excédés par la mesure prise à l'encontre de la famille «contrevenante». Pour le P/APC, la réponse est évidente : «Ce sont des gens qui ont acheté ces terres, ils sont propriétaires et tous ont obtenu leur permis de construire !» En contrebas de la maisonnette démolie se trouve pourtant une centrale à béton installée au beau milieu de la plaine. L'enjeu des dernières terres agricoles Khraïssia est une commune relevant d'Alger. C'est une région faite de collines et d'étroites plaines qui exhalent mille senteurs. Un espace imposant de verdure et de vergers arboricoles. Khraïssia, c'est aussi ce village colonial qui abritait dans le temps pas plus d'une vingtaine de familles. Aujourd'hui, Khraïssia est en phase de devenir l'eldorado des trafiquants du foncier, et quel foncier ? Agricole. Des villas de haut standing sont érigées aux abords de la route principale qui dessert les communes avoisinantes (Douéra, Saoula, Birtouta...). En matière d'extension urbaine, Khraïssia a réalisé beaucoup de projets immobiliers... mais au détriment de l'agriculture. Pour autant, la situation des citoyens à Khraïssia ne s'est pas améliorée. Pis, elle a décliné car, pour la majorité de ses habitants, c'est un affreux gros douar où l'informel est maître des lieux. Où fleurissent les marchés sauvages de fruits et légumes, d'habillement, de téléphonie mobile et autres gadgets qu'on étale à même le sol. Khraïssia est ce village qui a raté le saut du développement qualitatif pour sombrer dans l'anarchie. Une situation voulue par certains responsables locaux d'abord, mais aussi par des citoyens qui viennent de toutes parts, qui restent soumis à l'environnement dans lequel ils vivent. Les terres agricoles sont abandonnées, d'autres sont devenues des décharges à ciel ouvert. C'est la technique utilisée par la mafia du foncier qui laisse pourrir la situation, au sens vrai du terme, pour ensuite pour décréter ces terres impropres à l'agriculture. Dans quelque temps, il n'y aura plus de vergers à Khraïssia. Parole de spéculateur.