Ecrivain, artiste, Martine le Coz a publié 2 livres sur l'Emir Abdelkader. Conférencière au dernier colloque de la Fondation Emir Abdelkader, organisé à Alger récemment, en partenariat avec l'université d'Alger, l'Organisation nationale des moudjahidine, le ministère de l'Energie et des Mines et la banque El Baraka, elle parle avec beaucoup d'émotion de la grandeur de l'Emir. Le Temps d'Algérie : Quelle a été la réaction de la population de la ville d'Amboise lorsque l'Emir a été emprisonné au château ? Martine le Coz : L'Emir a passé 4 années au château d'Amboise, entre 1848 et 1852, et c'est très étonnant de voir comment la population a aimé l'Emir, mais à un point formidable. Je crois que tout le monde a été touché par une forme de grâce, car vous savez il était arrivé comme étant le guerrier que vous connaissez, qui a mené la résistance farouche durant 17 ans. Les combats étaient féroces face à Bugeaud, un homme qui était très dur et qui n'avait pas du tout la stature morale de l'Emir. Il est donc arrivé dans notre petite ville d'Amboise et la population était fascinée et se disait nous allons avoir entre nos murs ce guerrier qui avait mis en échec l'armée française de Napoléon. Les gens étaient terrifiés au début, puis fascinés parce qu'ils avaient entendu dire que c'était un homme de grande dimension spirituelle et intellectuelle. Ils ne s'attendaient pas à la bonté qui émanait de l'Emir et ils étaient touchés également par la foi qu'il avait. L'Emir réunissait tant de qualités pour être un ambassadeur de la fraternité. Il y a eu un événement qui était tout à fait merveilleux, car dans le ciel d'Amboise, on entendait en même temps le muezzin et les cloches. Le capitaine Boissonet, qui tenait le château d'Amboise et qui était chargé de la surveillance de l'Emir, avait imposé, car il avait beaucoup de respect pour l'Emir, que tout soit fait en sorte que l'Emir et les siens (une centaine de personnes) puissent vivre leur foi. Alors qu'il était prisonnier au château, l'Emir avait refusé longtemps les contacts… Durant les 2 premières années, l'Emir s'est replié sur lui-même, car son honneur était en jeu, il refusait les contacts hormis ceux du capitaine Boissonet, car lui avait la connaissance de l'homme de guerre qu'était l'Emir et l'homme de foi aussi. Le capitaine Boissonet connaissait l'arabe, et il a tout de suite été dans cette lumière de l'Emir. L'Emir était dans cette résistance car il a été trahi par la France, la France a violé sa parole en l'emmenant dans ce château au lieu de l'exil vers un pays de l'Extrême-Orient. Puis peu à peu, les portes s'étaient ouvertes, et au bout de 2 ans des érudits venaient de partout, des juifs, des chrétiens, pour entendre et recevoir l'enseignement de l'Emir. Il y avait eu aussi l'abbé Rebiot qui était un curé modeste, le curé de la ville, mais par bonheur il avait la même intégrité dans sa foi, la même correction de pensée, la même exigence de correction, et c'est par l'estime mutuelle qu'ils sont devenus amis. Ce curé avait aussi une curiosité intellectuelle, donc il a pu être un interlocuteur pour l'Emir, on le sait par des documents, les lettres qu'ils ont échangés des années après la délivrance de l'Emir Est que le château a connu depuis des constructions nouvelles rappelant le passage de l'Emir ? C'est triste, mais pendant la détention de l'Emir et des siens, 25 personnes sont mortes au château, il y faisait froid, humide. Au départ, le château était insalubre, il y a eu beaucoup de maladies. Ces personnes mortes ont été ensevelies dans une fosse commune dans l'enceinte du château, il y a eu juste un monument qui a été érigé quelque temps après. En 2005, nous avons inauguré un véritable cimetière musulman dans l'enceinte du château. Grâce à Rachid Korrichi, qui est un grand artiste algérien, nous avons érigé un véritable cimetière musulman, mais alors dans l'esprit soufi qui était celui de l'Emir. Dans ce projet, Korrichi a fait intervenir des artisans d'Algérie, d'Amboise et de Damas.