Les ministres de l'Intérieur des pays d'Afrique occidentale se réunissent aujourd'hui à Dakar avec leurs homologues de France et d'Espagne pour examiner la délicate question de l'ouverture, dans cette région située dans le prolongement direct du Sahel, d'une «nouvelle route» spécialisée dans le narcotrafic. Cette région était jusque-là considérée, exclusivement, comme la «route» de l'immigration clandestine vers l'Europe. L'ouverture de cette troisième route, spécialisée cette fois dans le trafic d'armes, n'est pas exclue. Cette route qui existe déjà dans le Sahel est même considérée comme probable par les experts qui considèrent que le terrorisme, l'immigration clandestine et le trafic de drogue sont des phénomènes qui font bon ménage. La route de l'immigration La côte ouest-africaine, située dans le prolongement direct du Sahel, est considérée aussi par endroits comme au Sahel, la «terre de personne où les Etats sont absents. Elle a d'abord été investie, au début de la seconde moitié de la décennie en cours par les maffias de l'immigration vers les Canaries. Près de 40 000 Subsahariens ont pu atteindre les côtes espagnoles. Mais le dispositif mis en place par l'Espagne dès 2007, avec le concours les unités du Frontex (Agence européenne de contrôle des frontières) a sensiblement découragé ce phénomène. Cette «route» a progressivement cessé d'être rentable pour ces maffias de l'immigration clandestine en Afrique de l'Ouest. Cette zone était jusqu'a l'apparition du trafic de drogue, dans le courant de l'année 2009, celle où activaient les maffias de l'immigration illégale vers les côtes canariennes. Aujourd'hui, la route maritime du trafic des personnes le long de la côte ouest-africaine est très strictement contrôlée par les émigrés clandestins. De près de 40 000 subsahariens interceptés en 2006 avant la mise en place de ce dispositif sécuritaire, le nombre des arrivants aux Canaries est tombé à quelques milliers seulement. De plus, l'Espagne qui est en pleine crise économique a totalisé ces deux dernières années plus de 2 millions de nouveaux chômeurs. Les maffias de l'immigration clandestine auraient alors choisi de se tourner vers une activité plus risquée mais beaucoup plus rentable, le narcotrafic. La route de la drogue Jusque-là, la seule route du trafic de drogue connue était celle du Maroc qui conduit vers le sud de l'Europe. L'Union européenne a échoué dans ses tentatives de s'assurer la collaboration du gouvernement marocain pour combattre ce fléau. Bruxelles s'est rendu compte que l'opération n'est pas si simple, dans la mesure où l'enquête s'arrête aux portes de la famille royale marocaine dont certains membres sont impliqués dans cette activité lucrative. Jusque-là, le Maroc avait le monopole du trafic de stupéfiants en Méditerranée, une activité qui s'est concentrée dans la région de Tanger et ses environs depuis la fermeture de la frontière ouest avec l'Algérie. Sans quoi, les quantités de haschisch, la spécialité du Maroc, auraient été encore deux ou trois fois plus élevées. Récemment, la presse algérienne a fait état de la saisie de près de 40 tonnes de haschisch dans la région de Béchar – la plus important depuis l'indépendance du pays – dont la quasi-totalité provenait du Maroc. Le reste provenait de pays voisins du Sahel ou de la côte ouest-africaine. De considérables quantités de marchandises (haschisch, cocaïne et héroïne) transitent régulièrement par les pays du Sahel (Tchad, Niger et Mali) vers le vieux continent. Ces pays ne sont pas, comme le Maroc, producteurs de stupéfiants, ni même consommateurs. Le président malien Ahmadou Touré assurait, récemment dans une interview à El Pais, que le Sahel constituait «une voie de transit» de cette marchandise et que les populations locales ignoraient la consommation de drogue. «Une région, dit-il, difficile à contrôler, même par la plus grande puissance militaire au monde, pour ses étendues désertiques vastes de plus 4 millions de kilomètres». Deux fois le territoire algérien. C'est précisément pour son relief et l'absence de tout trace d'Etat, là où n'existent ni ports, ni douanes, ni polices des frontières que les maffias ont choisi d'y développer leurs activités. Parfois avec une certaine témérité. En octobre dernier, en effet, un Boeing 727, de nationalité vénézuélienne, avait pu atterrir en plein désert au Mali où il avait déchargé plusieurs tonnes de cocaïne. On estime encore entre 30 et 40 tonnes d'héroïne d'origine afghane qui entrent, annuellement, par cette région allant du Sahel à l'Atlantique jusque-là investie par les maffias de l'immigration. Une convergence va donc se faire entre cette route orientale (Mali, Niger et Tchad) du narcotrafic et la route occidentale, dans la région du Sénégal. La quantité de drogue écoulée à partir de la côte ouest-africaine vers l'Europe est estimée à des dizaines de tonnes annuellement. Le tiers de la cocaïne d'origine latino-américaine qui arrive en Europe passerait par cette région où les Etats n'ont pas de moyens de contrôler leurs propres territoires. Ce que veulent leur offrir, aujourd'hui, la France et l'Espagne, selon un plan identique à celui mis en place par le Frontex pour combattre l'immigration illégale. La route du trafic d'armes Inconnu jusque-là en Afrique de l'ouest, le trafic de drogue est donc en train d'y faire son apparition de façon spectaculaire. Dans cette région qui s'étend de la Guinée Bissau au Sahara Occidental occupé par le Maroc, les maffias de l'immigration ont découvert une nouvelle source de financement dont la destination n'est pas encore prouvée totalement. Où va l'argent de la drogue ? Pourquoi le narcotrafic est-il en train de s'implanter, en ce moment même, dans une région déjà investie par le terrorisme de Al Qaïda pour le Maghreb islamique (AQMI) ? D'où la question que se posent les experts: les maffias spécialisées dans le trafic des personnes sont-elles, aujourd'hui, les mêmes qui activent dans le trafic de drogue à destination de l'Europe, voire du trafic d'armes pour le compte d'AQMI ? Cette question fondamentale sera-t-elle posée en ces termes aujourd'hui à Dakar ? Pour certains gouvernements, dans la région du Maghreb et du Sahel, la réponse est évidente. C'est peut-être à cette conviction que pourraient parvenir les Etats de la côte ouest de l'Afrique qui ne sont pas (encore ?) la cible armée du terrorisme de AQMI. Cette «nouvelle vocation» a pris progressivement le pas, ces deux dernières années, sur le trafic des personnes, une activité investie par les réseaux de soutien au terrorisme «islamiste», selon la conviction des services de sécurité européens dont le CNI espagnol. Un phénomène encore naissant qui suscite beaucoup de préoccupations aux Nations unies qui ont averti, récemment, du «danger de déstabilisation» du Sahel et de la région d'Afrique occidentale, en raison de la jonction entre ces trois phénomènes. Le trafic des personnes, le narcotrafic et le trafic d'armes. Antonio Costa, directeur de l'Agence des Nations unies contre la drogue et le délit (UNODC), cité par les agences de presse, estime que «le trafic de drogue est devenu une nouvelle source de financement d'activités terroristes» d'Al Qaïda, autrement principalement dans le nord de l'Algérie. Le trafic des personnes aussi (surtout ?) a pris la forme des prises d'otages contre rançons pour le financement du trafic d'armes. L'Algérie active aux Nations unies pour l'adoption d'une résolution sanctionnant les pays occidentaux qui, comme l'Allemagne ou l'Autriche, et la différence du Royaume-Uni dont un ressortissant a été exécuté, fin 2009, par AQMI pour le refus de Londres de verser la rançon exigée, ont «payé» pour obtenir la libération de leurs ressortissants séquestrés dans le nord du Mali. Par millions d'euros. Le président malien est catégorique : Bamako n'a jamais remis de mallettes aux ravisseurs des Allemands et ne le fera pas pour l'Espagne, l'Italie ou la France mais facilitera la médiation encours. Il n'exclut pas, toutefois, que les rançons qui «passent par plusieurs mains» aient été versées depuis l'étranger. Par des tiers que personne ne connaît. C'est à cette filière que le gouvernement espagnol qui assure à qui veut l'entendre qu'íl ne paiera pas de rançons semble avoir eu recours. Le soin en est laissé à ces tiers par les gouvernements. Une belle astuce pour ne pas renier ses propres engagements internationaux en matière de lutte contre le terrorisme et la piraterie en Somalie. Une belle affaire pour AQMI. «A raison de 3 millions d'euros par tête d'otage, cela fait beaucoup d'argent» qui servira au trafic d'armes des terroristes qui activent en Algérie, estime le haut fonctionnaire de l'ONU Richard Barrett. Le gouvernement algérien a donc bien des raisons de s'inquiéter de la multiplication de ces sources de financement du terrorisme.