Le porte-parole du gouvernement espagnol observait toujours, hier matin, un silence prudent autour de l´annonce avec certitude, faite dimanche après-midi par les médias, de la libération des deux otages espagnols Roque Pascual et Albert Vilalta, enlevés le 29 novembre en même temps que leur compatriote Patricia Gamez, laquelle sera libérée plus tard, par Al Qaïda pour le Maghreb islamique (Aqmi). Pour des raisons évidentes de sécurité mais aussi protocolaires, cette source qui se refusait encore vingt quatre heures plus tard à Madrid à confirmer clairement et officiellement cet événement attendu depuis des mois, s'est limitée à faire cette déclaration : «Je peux confirmer leur libération et vous dire qu'ils sont en lieu sûr, mais ce sera au président Zapatero de vous informer plus en détails à ce sujet vers deux ou trois heures (heure espagnole).» C'est vers le milieu de l'après-midi que le président Zapatero aura la certitude que les deux otages sont arrivés à Ouagadougou sains et saufs. Le médiateur Mustapha Chafi Un avion spécial espagnol était déjà prêt la veille à prendre le vol depuis une base militaire proche de Madrid vers Ouagadougou pour rapatrier les deux Catalans qu'un hélicoptère devait recueillir quelques heures auparavant non loin de al frontière avec le Burkina Faso. Passant outre ce rappel de consigne de prudence lancé par le gouvernement, une «source» officielle moins discrète confirmait hier en fin de matinée que les deux ex-otages étaient déjà en route depuis Kidal, lieu de leur séquestration, vers la capitale burkinabé, accompagnés du médiateur Mustapha Chafi. Une fois de plus, le nom de ce conseiller pour les affaires de sécurité du président Blaise Compaoré, un ressortissant mauritanien d'origine, apparaissait au premier plan dans cette nouvelle affaire de libération d'otages occidentaux enlevés par Aqmi. N'est-ce pas, en effet, ce farouche adversaire politique du président mauritanien Ould Abdelaziz, très familier de l'étendue désertique du Sahel reliant le Nord du Mali au Burkina Faso, qui a ramené à Ouagadougou les deux ex-otages français libérés, en février, par le groupe de Mokhtar Benmokhtar. C'est vraisemblablement lui qui détient l'information la plus fiable sur la nature et le montant de la rançon que Madrid a dû payer pour obtenir la libération des deux ressortissants espagnols. A quel prix ? Quel prix le gouvernement espagnol a-t-il payé pour obtenir la libération de Pascual et Vilalta ? Aucun, soutiendront une nouvelle fois, à coup sûr, les autorités espagnoles. Le ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, qui avait fait, cet été, un forcing diplomatique auprès de la Mauritanie et du Burkina Faso, a toujours nié tout paiement par son gouvernement de rançons aux terroristes ou aux pirates. Difficile à croire pour le quotidien El Mundo qui affirmait, hier matin, qu'outre l'extradition, la semaine dernière, par la Mauritanie du Malien Omar Sid Ahmed Ould Hamma, alias Sahraoui, auteur de l'enlèvement des trois otages espagnols, vers son pays d'origine, l'Espagne a payé une rançon de 3,8 millions d'euros à Aqmi. Le quotidien El Pais a assuré, pour sa part, que la libération des deux ressortissants espagnols a pris un retard de près de neuf mois non pas à cause d'une question de rançon «que tous les pays occidentaux confrontés au problème d'otage ont payé, à l'exception du Royaume-Uni, mais de la difficulté de satisfaire les exigences d'Aqmi concernant la libération de ses membres emprisonnés en Mauritanie». Le précédent français Benmokhtar a recouru à cette exigence pour le cas des deux Espagnols car il a déjà obtenu, en février, la libération de quatre de ses éléments emprisonnés à Bamako contre celle du Français Pierre Camatte. Paris a satisfait la condition posée par l'organisation terroriste lors du déplacement dans la plus grande discrétion, le 14 décembre à Bamako, du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et du secrétaire général de l'Elysée. Les deux émissaires français avaient, alors, réussi, à «convaincre» le gouvernement malien d'accéder à la demande de remise en liberté des quatre terroristes d'Aqmi, dont deux Algériens, condition posée par cette organisation terroriste à la libération de l'otage français. Bamako avait affiché, au départ, son refus d'accéder à cette initiative, qui équivaudrait, selon l'expression d'un membre du gouvernement, Mamadou Toure, à «retourner ses armes contre elle-même». Paris n'a pas alors hésité à user de «pression» sur ce pays le plus pauvre de la planète. Certaines «sources» avanceront même que des pots-de-vin avaient été versés à d'influentes autorités maliennes pour faire aboutir l'opération. Le gouvernement espagnol a eu la tâche plus difficile avec le général Mohamed Ould Abdelaziz qui depuis son arrivée au pouvoir en 2008 avait fait de la lutte contre Aqmi une priorité. Moratinos a dû se déplacer en juillet à Nouakchott, accompagné du directeur du CNI (les services secrets espagnols), Felix Sanz Roldàn, pour demander au président mauritanien de faire un geste qui puisse sauver la vie des deux otages espagnols. Trois mois plus tard, Omar Sahraoui est extradé vers le Mali à la suite de ce qui apparaît comme un «marché» à trois. Madrid a obtenu la libération de ses ressortissants. Omar Sahraoui sera remis en liberté sous peu et Nouakchott a pu «sauver la face». Un scénario connu Dans ce marché, seule l'Algérie n'y trouve pas son compte. L'argent des rançons versées par les gouvernements occidentaux, tous ses alliés contre le terrorisme, servira à l'achat d'armement pour les foyers d'Aqmi dans le nord du pays. La question du paiement des rançons est taboue dans le langage diplomatique des occidentaux. Le 7 janvier à Madrid, en marge de la visite de travail du président Bouteflika, Moratinos avait déclaré avec assurance à la presse, en présence de M. Medelci, que l'Espagne ne versera pas de rançon au terrorisme. Il ne fallait surtout pas prendre au mot le chef de la diplomatie espagnole, puisqu'il était déjà prévu dès le départ que l'argent sera versé par une autre partie que le gouvernement espagnol contre remboursement à terme. C'est exactement ce scénario qui a été mis en scène par les services secrets espagnols qui ont mené déjà des négociations identiques avec les pirates de l'Alakrama puis dans l'affaire des otages d'Aqmi avec la fondation Kadhafi. La Libye, où le président Zapatero s'est rendu récemment, avait fait parvenir à Benmokhtar par le biais de médiateurs maliens une mallette avec 3,8 millions d'euros. En diplomatie, tout est question de formulation.