a quitté, ce samedi 13 mars, ses montagnes pour un ultime voyage vers le ciel de l'Ardèche. A 79 ans, malade, il n'avait plus la force de les escalader pour goûter à ce succulent poulet sans hormones. Avec la disparition de Ferrat, c'est une autre figure de proue de la musique française à texte qui s'envole. De la trempe des Ferré, Becaud, Brassens et Brel, Ferrat est un magicien des mots ayant chanté l'amour, l'injustice, la misère, la classe ouvrière, les guerres et tous ces évènements et drames de l'histoire de l'humanité. De son vrai nom, Jean Tenenbaum, Jean Ferrat est né le 26 décembre 1930 à Vaucresson (Hauts-de-Seine), en France. Son père juif de Russie a disparu après sa déportation à Auschwitz alors que Jean qui n'avait que 11 ans a été sauvé par des militants communistes. A la libération, il quittera les études pour aider sa famille et deviendra un aide chimiste. Mais avec son âme d'artiste, il ne ressent que l'alchimie des vers et des mélodies. La route sera longue et difficile avant de voir les scènes lui ouvrir les bras, d'abord en tant que compositeur avec un essai de maître sur Les yeux d'Elsa, un poème de Louis Aragon, jusqu'à la consécration de cet exceptionnel parolier, musicien, compositeur et interprète de la chanson française. Un artiste engagé Ma France, une belle chanson qui résume à elle seule ses positions, comme elle, il y en a eu de nombreuses dont les textes éveillent les consciences. Des textes qui racontent dans Potemkine, la révolte des marins contre l'injustice, la joie de vivre libre à Cuba après le triomphe de la révolution à Cuba, le déchirement de Maria qui avait deux enfants engagés l'un contre l'autre durant la guerre d'Espagne… Ce sont plus de 200 chansons plus belles les unes que les autres, interprétées magistralement avec toute l'expression d'un homme qui aime les gens simples. Avec sa voix chaude et douce, Jean Ferrat a su également raconter des histoires d'amour à vous en donner des frissons comme a su le faire Aragon en dessinant sur du papier ces vers qui disent l'amour. En enveloppant de sa musique les poèmes d'Aragon, on ne pouvait qu'aimer ces chansons à en perdre la raison. Le fou d'Elsa pouvait alors crier sa passion pour ces yeux et «Aimer à perdre la raison» / «Aimer à n'en savoir que dire» / «A n'avoir que toi d'horizon»/ «Et ne connaître de saison» / «Que par la douleur de partir». La censure à la télévision, Ferrat connaît. Comme son pote Brassens, il était le bienvenu pour chanter mais avec la consigne stricte d'éviter de lui offrir un temps de parole. Car ce révolté de Ferrat dérange, ses positions et les phrases de ses chansons dérangent. En 1965, Potemkine a été interdite d'antenne, ainsi que Ma France qui dénonce les dirigeants français après mai 68, eux qui «usurpaient le prestige de cette France de Robespierre». Ferrat racontera plus tard qu'alors qu'il se trouvait avec Brassens et Brel, invités d'une émission de télévision, une personne était arrivée avec une ardoise où était écrit «Ordre de la direction, que Jean Ferrat chante, mais qu'il ne parle plus. Après ça Jean Ferrat n'est plus apparu à la télé durant deux ans et demi. Homme et artiste engagé, accroché à ses convictions, il ne ménage personne, encore moins les magnats du show biz. Même s'il était lui-même une star, il ne se gênait pas pour dénoncer ceux qui possédaient les fortunes. Les standards commerciaux il n'en avait que faire et combattait cette industrie qui mettait à mal la diversité culturelle, la création et les «chansons à texte». Il n'avait pas besoin de la publicité En 1990, il sort un album où la chanson A la une met à mal les chaînes de télévision et leurs émissions «racoleuses». Il tire à boulets rouges sur ces débats qui organisent des rencontres entre «bourreaux et torturés, délateur et dénoncé, un para et un fellouze, un violeur et des violées et puis comme une apothéose entre SS et déportés». Son copain Michel Drucker réussira à l'inviter sur le plateau de TF1, où il interprétera cette chanson. Même s'il avait refusé de faire partie des rouages du show biz, Ferrat était de ces chanteurs capables de vendre sans publicité. Le coffret de 3 CD regroupant le best of de ses chansons, mis dans les bacs fin octobre 2009, a été certifié disque de platine. Jean Ferrat était communiste et il ne s'en cachait pas, il accompagnera le parti communiste français dans ses luttes sans jamais y adhérer. Cela faisait déjà des années qu'il s'était retiré dans la région de l'Ardèche sans pour autant couper avec ses activités d'un homme engagé, réagissant et intervenant avec force dans les débats sociaux, il se solidarisera avec José Bové, l'altermondialiste, lors des présidentielles de 2007 et lorsqu' il s'était présenté en 1999 aux européennes sur la liste communiste et avait apporté son soutien à la liste du front de Gauche en Ardèche pour les élections de ce mois de mars. «Moi, je défends les plus déshérités, les autres n'en ont pas besoin», avait-il déclaré.