Décidément, pour reprendre un des titres d'Aragon repris avec succès par Jean Ferrat, Nous ne vieillirons pas ensemble. Cela aurait été difficile, car le regretté chanteur avait plus qu'un temps d'avance, au point de rejoindre l'éternité bien avant son départ pour le paradis des chanteurs. Il nous a émus, fait réfléchir, poussés à bondir de colère dans la foulée de ses vers ciselés à merveille. Il a rendu amoureux les cœurs les plus endurcis avec sa voix grave et suave. Lyon de notre correspondant En Ardèche, dans ce beau village d'Antraigues, au pied des Cévennes, il se confondait au paysage majestueux. Personne ne dérangeait le patriarche pourtant très accessible. Peu avare de ses engagements à gauche, ses prises de position étaient cependant rares. Ces dix dernières années, on peut les compter sur les doigts des deux mains, et encore pas sûr. La préoccupation de l'artiste allait toujours vers la culture. Je me souviens, ce devait être en 2004, Jean Ferrat avait participé, dans le tout petit village de Gluiras, en Ardèche, à une rencontre sur l'avenir culturel. Dans un monde où la télévision appauvrit la création, qu'elle soit musicale, du domaine de la littérature, du théâtre ou du cinéma, le compositeur de La Montagne s'engagea pour dire qu'il fallait que les artistes se prennent en main face au rouleau compresseur. A ses côtés, l'artiste Jean Saussac, d'Antraigues également, alors presque au bout de sa vie, le soutenait avec force. L'émotion était palpable dans cet ancien temple transformé en salle des fêtes. Un artiste, un parmi les nombreux chanteurs qui reprennent le tour de chant de Ferrat, entonna avec beaucoup de sensibilité quelques-uns des airs engagés les plus connus du révolté de la montagne. Là, loin du monde, on sentait que quelque chose se passait dans ce microcosme naturel que Ferrat découvrit dans les années 60 et où il est mort presque 50 ans après. Le deuxième souvenir, c'est le soutien de l'interprète des chansons d'Aragon, à Majid Shahbazian, Iranien assigné à résidence en Ardèche en 2005, suite à la rafle effectuée par le gouvernement d'alors dans les rangs des Moudjahidine du peuple dans la région parisienne. Dans le chef-lieu de l'Ardèche, Privas, un comité de soutien se mit en place, et non seulement Jean Ferrat en accepta la présidence, mais il participa activement à toutes les manifestations organisées, jusqu'à ce que le tribunal donne tort au gouvernement français, et que le militant iranien retrouve la liberté de ses mouvements. Enfin, alors que la France est appelée aux urnes pour les régionales, il avait soutenu une liste, toujours celle du parti communiste, liée cette année au parti de gauche. Il sera resté fidèle jusqu'au bout. Ce n'est pas étonnant, Jean Ferrat était entier, fait d'un seul bloc de bonhomie et de gentillesse. La tendresse de son regard et la profondeur de son chant, tellement humain nous accompagneront à jamais. Ferrat rejoint ceux que nul n'oubliera jamais : Ferré, Brassens et Brel. A jamais irremplaçables.