La forêt de Chréa abrite des espèces végétales millénaires parfois rares. Le cèdre, le chêne et autres sapins s'y côtoient «vertement». La beauté du lieu, ce sont aussi les gorges de la Chiffa qui attirent des milliers de visiteurs annuellement, en toutes saisons. Un endroit que les visiteurs choisissent pour son calme, sa beauté, son attraction. C'est d'ailleurs l'avis de Riad venu tout droit de Médéa arpenter les sentiers de cette forêt. «Une randonnée qui fait du bien, ça nous change du quotidien», a-t-il déclaré. Chréa a connu une destruction sans pareille durant la décennie noire. Aujourd'hui encore, les quelques visiteurs qui s'y rendent le temps d'un week-end n'ont visiblement pas une notion claire de la protection de l'environnement. Et les pouvoirs publics de leur côté sont loin d'avoir une politique touristique à la hauteur du site. Des sacs poubelles jonchent l'espace, des feux sont laissés allumés après la cuisson de brochettes et autres mets rapides, une gestion chaotique du parking où la chasse gardée est maîtresse des lieux, alors que les relations de copinage priment sur la chose touristique. Le béton, là aussi ! Le fait le plus marquant constaté lors de notre virée est la faible affluence des citoyens. Les seuls à s'y rendre viennent de trois wilayas : Blida, Alger et Tipaza. C'est dire la négligence et le laisser-aller dans cette belle région. L'absence de vision et de stratégie touristique fondée sur des règles universelles font que le tourisme de montagne reste à l'état primitif. Pourtant, cette activité peut générer des bénéfices énormes à la wilaya de Blida en particulier et à l'Algérie de façon plus globale. Dès notre arrivée sur le site en cette journée pluvieuse, nous avons pu constater la montée vertigineuse de bâtisses et autres maisons en dur dans tous les coins de la forêt. Le peu de citoyens rencontrés sur ce lieux, qui était dans un passé proche le fief des terroristes, sont déçus. «Nous sommes loin du tourisme de montagne, nous cumulons un énorme retard en la matière, pour ne parler que de ça», a déclaré d'emblée le chef de brigade de la gendarmerie qui peine à réguler le flux de voitures et l'anarchie qui règne. Des files de voitures arrivent de toutes parts, des dépassements dangereux, des queues de poisson et la circulation à grande vitesse dans un lieu censé être paisible, mais surtout où la vitesse est limitée à 30 km/h. Le commerce informel même en montagne Aâmi El Bachir, un féru de la forêt, ne rate aucune occasion pour s'y rendre. En période estivale, il y passe même la nuit dans les bois. Ce quinquagénaire remonte jusqu'aux années 1970 et 1980 pour se remémorer les bons moments passés dans ces lieux qu'il vénère, avec des copains et autres touristes qui affluaient à longueur d'année pour un bol d'air pur et pour se rafraîchir à la fontaine Thilioua. «Chréa n'est plus ce qu'elle était. Elle a beaucoup changé. Pour ce havre de paix, la décennie noire a été une véritable agression, un viol. Sur la place principale de la forêt où un monument est érigé à la mémoire des chouhada tombés au champ d'honneur, des magasins, pour la plupart fermés, en dehors de la cafétéria gérée par deux jeunes et ouverte quotidiennement, donnent au lieu un air d'abandon. «Les gains sont trop faibles durant la semaine et le week-end ne suffit pas pour joindre les deux bouts», a tonné Farouk. Sur le côté gauche de la cafét', un fast-food s'est installé. Omar est catégorique : «Je vis à Chréa depuis 37 ans et jusque-là aucun engagement sérieux ni un plan touristique viable n'ont été mis en place ; nous sommes en train de perdre d'énormes richesses. Un fast-food ou une cafétéria sont une goutte d'eau dans un océan. Parler de plan touristique de développement est une utopie.» Le commerce informel a pris sa place à Chréa, des centaines de tables de vente de cigarettes, de thé, cacahouètes et autres confiseries sont installées le long des allées de la forêt. Il y a même des baraques en tôle qui font office de magasin de vente de souvenirs et autres appareils photo. Mais en dehors de ce bric-à-brac, aucun commerce digne de ce nom. A qui profitent les chalets de Chréa ? Durant les décennies 70 et 80, Chréa abritait une dizaine de chalets seulement, dont celui du président de la République et de quelques hauts gradés. Des cabanes construites en bois, en harmonie avec le style de la forêt et qui leur servaient de résidence secondaire pour le week-end. Un hôtel, une auberge de jeunes et une station de téléphérique agrémentaient aussi les lieux. C'était la belle époque. A l'entame de la décennie 90 et la montée fulgurante du terrorisme, Chréa s'est retrouvée orpheline, délaissée par les siens et offerte malgré elle aux barbares. Lesquels ont détruit tout ce qui était beau et important dans ce parc. Heureusement, le calme retrouvé, la paix y est aussi revenue. Mais hélas, le magique tableau d'antan a disparu. Aujourd'hui, Chréa est cédée au dinar symbolique aux amoureux du luxe, un luxe qui ne convient d'ailleurs pas à la «sainteté» du lieu. Des maisons en ciment poussent comme des champignons, plus vite que le sapin et le cèdre qui jadis ornaient cette splendide forêt. «Si vous avez des épaules solides, vous pouvez bénéficier d'un lot pour construire votre résidence secondaire», a fulminé un ancien gardien du site. Si les pouvoirs publics n'agissent pas pour sauver ce site, ou plutôt le poumon de la Chiffa, Chréa deviendra un grand douar d'ici peu. Du club de ski, il ne reste que le nom ! «Un club de ski existe, oui, mais de nom seulement», a commenté Abdelwahab, un habitué des lieux et passionné de ce sport. «Vous savez, en Europe, ce genre de site et une piste pareille font le bonheur de toute une population, pas seulement les habitants de la région. Il y a de cela vingt ans, la piste de ski de Chréa était pleine à craquer. D'ailleurs, les responsables de l'époque ont voulu y installer un télésiège. Mais les années de braises n'ont pas permis la concrétisation de ce projet, emporté par les coulées de neige. Maintenant, comme vous le constatez, Chréa est à vendre.» L'hôtel des cèdres demeure fermé aux visiteurs, tout comme le restaurant attenant à la bâtisse. «Et le sandwich fromage-pâté a pris le dessus», ironise Abdelwahab. Chréa demeure dans l'attente d'une oreille attentive qui lui permette de retrouver sa verdure et son lustre d'antan.