Raconter l'Algérie de la décennie noire et ce rapport à l'écriture, tel est l'objectif de Aicha Kassoul qui a présenté récemment à la librairie Chihab son récent ouvrage Le pied de Hanane paru aux éditions Casbah. Avec un titre suscitant la curiosité, la narratrice nous introduit d'emblée dans une Algérie meurtrie par une violence et par une évolution qui s'inscrit dans la régression. Comment des jeunes, censés rêver des plaisirs de la vie, se font kamikazes ? Se peut-il que nous ayons dévié de la trajectoire depuis l'indépendance ? Où sont les rêves de cette jeunesse désemparée ? Ces interrogations interpellent tout un chacun, et c'est par devoir de résistance face à la violence que l'auteur explique son écrit. C'est par ce sentiment d'impuissance et ce déni de justice de l'histoire que Aicha Kassoul a voulu témoigner à sa manière en contant son récit. Certes, «il y a une violence qui opprime et une violence qui libère», disait Marx. Mais comment nos enfants sont-ils devenus des assassins ? Ce questionnement renvoie à la thématique fondamentale de l'écriture de l'histoire. Selon Kassoul, «il y a un déficit de l'histoire, car il y a des zones d'ombre et aucune révolution n'est exemplaire». «On doit déposer notre passé et présent pour aller de l'avant car on est en pleine régression», déplore l'écrivain. Indubitablement, tant que l'histoire de notre pays n'aura pas été écrite avec objectivité et impartialité, tant que le problème identitaire reste posé avec acuité. Une expérience malheureuse à l'université «Ces jeunes s'enferment dans des valeurs identitaires qui sont une forme d'aliénation», explique-t-elle. «Notre échec, ce n'est pas la France, mais il n'y a pas de projets de société, ni économique ni d'éducation, ce qui fait que l'on a raté le coche», ajoute-t-elle avec consternation. Faisant référence à son expérience malheureuse au sein de l'université qui, pour elle, est le lieu du savoir, l'enseignante déplore que «le savoir se marchande et l'université fonctionne sur le mode du clientélisme». Ce parallèle entre sa vie privée et la société lui permet de rappeler cette Algérie dévoyée par des idéologies d'importation et par une religiosité qui frise la bigoterie. Emportée par ce tourbillon terroriste d'une décennie aux couleurs stendhaliennes, Aicha Kassoul signale cette souffrance et ce désespoir de la société. A sa manière, sans verser dans l'invective ni dans l'accusation, elle fait une plaidoirie peu reluisante de notre présent et de notre avenir. Ce livre bouleversant nous replonge dans cette écriture de l'urgence à travers un œil vigilant et avec beaucoup de circonspection digne d'une femme de lettres et de culture.