Les opérations de relogement continuent. Une huitième touchera trois communes de la capitale, à savoir Bir Mourad Raïs, Bab Ezzouar et Oued Koreich. Ainsi, ce sont 1049 familles habitant des bidonvilles et des habitations précaires qui vont en finir avec la précarité et la misère en s'installant dans des logements décents, modernes et équipés de toutes les commodités pour une vie saine. Un certain novembre 1957, sous l'ère coloniale, une centaine de personnes fut déplacée des villages limitrophes de la ville d'Alger et installée à Oued Koreich. «Les indigènes de la France coloniale le sont toujours, mais aujourd'hui sous l'ère algérienne.» C'est en ces termes qu'Ahmed a tenu à exprimer sa colère. Père de quatre enfants, il en a enterré trois autres, à cause de la précarité, de la misère et des maladies. Depuis cette date et avant même le plan de Constantine de 1958, le quartier Beaucheray, à Oued Koreich, ressemble de loin à une décharge. Des tas de ferrailles sont plantés ici et là, des constructions anarchiques rendant exigus les passages. «Même un cercueil ne passe pas. Quand une personne décède, nous la transportons à pied jusqu'à la route», s'insurge Djamel. Les 229 familles qui vivent sur ce site souffrent le martyre, été comme hiver. «En hiver, nous tremblons de froid et en été nous tombons de chaleur. La situation est insupportable», rouspète Mounir. A l'intérieur de ce qu'on pourrait appeler une cité, les maisons sont collées l'une à l'autre quand elles ne sont pas face. Des F1 et parfois des F2. C'est le cas de Saïd qui vit avec ses trois fils mariés et tous pères de famille. «Nous sommes une famille de 16 membres, nous vivons dans cette situation depuis plus de dix ans maintenant. Un F2 pour autant de monde. Mes enfants sont mariés et ont tous des enfants. Malgré les nombreuses demandes formulées au niveau de la commune, aucune n'a été retenue», explique ce chef de famille. Une situation qui n'a que trop duré. Un logement pour plusieurs familles Comme à chaque opération de relogement, une question de taille reste en suspens. Chaque chef de famille bénéficiera d'un logement, mais les enfants, même mariés, n'auront pas cette chance et devront partir avec leur père ! Ce qui amène certaines familles à refuser de quitter les lieux. «A cause de ces ‘‘nouvelles familles'', la demande est supérieure à l'offre. Nous ne pouvons offrir un toit à chaque livret de famille», explique le wali délégué de Bab El Oued, Meziane Achour. N. habite dans un bidonville depuis les années 1970. Ses enfants, dont le plus jeune est âgé de 38 ans, sont toujours célibataires. La raison est semble-t-il évidente. «A la maison, ils sont entassés ; le plus jeune dort dans sa voiture. Comment voulez-vous qu'ils pensent au mariage ?», s'est-il interrogé. Brahim affirme du haut de son balcon : «Ma maison est classée rouge par le CTC Chlef en février 2003, bien avant le séisme du mois de mai, mais à ce jour rien de concret de la part de la wilaya d'Alger. J'ai 54 ans et toujours célibataire, ma vie est partie en fumée.» La nouvelle du relogement a fait des heureux, mais une certaine amertume a poussé les citoyens à refuser toute solution précaire ou temporaire. «Nous attendons depuis 1957 et maintenant nous voulons des solutions définitives. Car partir d'un bidonville pour s'installer à 14 dans un F2, cela s'appelle du bricolage et nous ne voulons pas de cela», s'est indigné Rahim. Fontaine fraîche abreuve ses enfants Mardi était une journée ordinaire pour les habitants du quartier Fontaine fraîche, à Oued Koreich, avant que le Temps d'Algérie n'annonce la bonne nouvelle : «Vous allez être relogés.» Smaïl a éclaté de rire : «Nous avons assez entendu cette chanson. Depuis l'indépendance, on nous promet un relogement, mais à ce jour rien n'est fait.» Quelques minutes suffisent à ce jeune chômeur pour comprendre que la promesse est bien tenue. Un panel de responsables arrivent sur place. A leur tête le wali délégué de Bab El Oued accompagné par le P/APC de la localité. Le petit Oussama, stupéfait par tout ce monde qui débarque chez lui, interpelle le wali délégué : «C'est vrai qu'on va partir vivre dans une maison ?» Des éclats de rire fusent de partout. Le wali délégué se penche alors vers l'enfant et lui répond : «Oui mon fils, tu vas pouvoir avoir une chambre et un stade juste à côté de chez toi. Et un jour tu deviendras un grand joueur comme Ziani.» L'enfant part en courant répandre la bonne nouvelle à ses copains. La joie qui se lisait sur le visage du petit Oussama de 4 ans est la même que celle visible sur le visage de hadja Zahra, une femme de 73 ans qui a lancé des youyous dès qu'elle a appris la bonne nouvelle. «C'est une journée d'indépendance pour nous, je remercie les autorités et le président de la République pour ce geste. Nous allons enfin vivre dignement», s'est-elle exprimée. En tout, ce sont 195 familles qui seront relogées. Diar El Kef ou le quartier très chaud de la Carrière «Une dispute au marché de Bab El Oued : ce sont les jeunes de la Carrière ! A n'en pas douter ! Les citoyens de la circonscription administrative de Bab El Oued ont collé cette étiquette à ces jeunes pour avoir à chaque fois réclamé ne serait-ce qu'une petite part de leur pays. Cette cité perchée sur les hauteurs du Triolet, à côté de la carrière Jaubert, d'où le nom donné à la cité, est bondée de monde. Des HLM d'un côté et des bidonvilles de l'autre, la vie est trop dure à mener dans ce quartier.» Hicham compare son quartier aux favelas du Brésil. Voulant nous rapprocher des habitants, certaines personnes nous déconseillent le déplacement. «Ils vont vous tabasser, ce sont tous des voyous», nous informe Rabah, qui s'avérera victime des idées reçues. Sur place, les jeunes du quartier la Carrière se sont mis à notre disposition pour une visite guidée dans les ruelles, très étroites et sales du bidonville. La nouvelle que Le Temps d'Algérie a annoncé aux habitants a fait des joyeux et en quelques minutes tous les habitants ou presque sont sortis. «Nous partons quand ?», interroge Djamel, très connu dans ce quartier. Selon les informations données par les services de la wilaya d'Alger, le départ est prévu pour le 18 juillet. Les habitants de la Carrière se souviennent, en cette journée de joie, des quatre maisons emportées par les eaux. Une catastrophe qui avait fait 4 morts. «Dommage que Ammi Omar ne soit plus de ce monde, il aurait été l'homme le plus heureux et le plus comblé par cette nouvelle. Nous prions Dieu pour qu'il lui réserve un palais dans l'Au-delà», a prié Houria, voisine de cet homme pieux et sage. La journée de l'annonce du relogement est perçue par les habitants des différents bidonvilles concernés par cette opération comme une journée de délivrance et de retour à une vie «normale». «Le Bon Dieu ne laisse jamais ses êtres. Chacun son tour», a conclu la vieille femme.