Exclues de l'opération de relogement organisée samedi à Sonatro (Oued Koreiche), abandonnées dans un chantier dans la commune des Eucalyptus, chassées de là après quatre jours d'attente vaine, plusieurs familles ont regagné mardi soir leur ancien quartier.Le retour a été immédiatement suivi d'émeutes. Le quartier Triolet, de Bab El Oued, a renoué mardi avec les émeutes suite à l'opération de relogement samedi des habitants du bidonville Sonatro d'où plusieurs familles ont été non seulement exclues mais aussi jetées à la rue et abandonnées dans un chantier aux Eucalyptus. Après quatre jours passés là-bas, les exclues ont été sommées de quitter les lieux et de trouver eux-mêmes une solution à leur situation actuelle. Sur les 190 recours introduits, la wilaya a fini par accepter 38 et a rejeté le reste. Des échauffourées ont éclaté aux Eucalyptus après l'annonce de cette nouvelle liste. La gendarmerie est intervenue. Les concernés ont eu le réflexe de revenir à leur quartier. A Diar El Kaf, ils se sont fait entendre juste après le retour. Et de quelle manière ! Dans la nuit de mardi à mercredi, la route a été coupée à la circulation sur le tronçon Saïd Touati et la voie express de Frais Vallon. Une des portes d'entrée du show-room de Renault, qui se trouve à quelques pas du grand carrefour du quartier, a été endommagée. Les jeunes ont essayé sans succès d'y pénétrer. Une voiture (Clio) a été toutefois ramenée au rond-point puis incendiée. De gros tuyaux appartenant à une société des eaux ont également connu le même sort. Hier matin, la chaussée gardait encore les traces du feu. La carcasse de la voiture incendiée est demeurée sur place. Quatre jeunes face à une centaine de policiers Il était 11h. Ayant pris position sur les hauteurs du carrefour, quatre jeunes de Diar El Kaf (La Carrière), parmi un groupe qui en compte une dizaine, lançaient de temps en temps des pierres contre les policiers, les piétons et les automobilistes de passage et proféraient des insultes. En face, la police a déployé un important dispositif sécuritaire constitué d'une centaine d'argents armés de gourdins et de boucliers. Derrière le dispositif, le voisinage assistait à cette révolte dont l'essentiel des dommages a été commis dans la nuit. Bloquée à la circulation, le boulevard Saïd Touati a été transformé en parking pour les fourgons de la police. Les automobilistes qui venaient du côté de l'hôpital de Bab El Oued sont invités à rebrousser chemin à l'entrée de la Bazetta. Dans l'aire de stationnement attenante au lycée Saïd Touati, une dizaine de femmes et de jeunes filles ont pris position depuis mardi soir. Elles font parties des familles de Sonatro exclues du recasement et jetées dans la commune des Eucalyptus, dimanche matin. Assises, ces femmes recevaient la charité des anciens voisins du quartier. Au-dessus de leur tête, des slogans inscrits sur le mur d'enceinte de l'établissement. On peut lire par exemple «Le Soudan est le tombeau des Pharaons !», en référence au fameux match qui a opposé, le 18 novembre 2009, l'équipe algérienne à celle de l'Egypte pour la qualification à la Coupe du monde. «C'est là maintenant notre tombeau à nous !», ironie une femme âgée, la mine défaite. A côté des slogans, des jeunes de Bab El Oued et de La Carrière ont dessiné leurs armes favorites : l'épée et le couteau. C'était avec cet arsenal qu'ils s'affrontaient d'habitude, faisant beaucoup de dégâts dans les deux camps. Une fois n'est pas coutume, les jeunes de La Carrière ont changé d'adversaires du jour. Calme au quartier Contrairement à l'ambiance d'émeutes de Triolet, La Carrière était calme. Les routes étaient accessibles et les voitures circulaient le plus normalement du monde. A partir de lycée Saïd Touati, au bout du deuxième virage, le visiteur tombe nez à nez avec les premières baraques démolies dimanche matin. Au bout de la rue, le bidonville Sonatro ou ce qui en reste. Les travaux de démolition ont été suspendus. Dans le stade mitoyen au site, quatre engins des travaux publics sont stationnés. Sur les mêmes lieux, se trouvaient trois camions chargés des affaires des familles évacuées des lieux mais exclues de l'opération, et les chauffeurs.» On attend toujours les ordres du wali délégué», affirment-ils. Si toutes les masures ont été démolies, les gravats n'ont pas été enlevés. Les travaux de terrassement tardent. Au milieu du terrain en ruine, un 4x4 bâché immatriculé à Boumerdès dont les propriétaires collectaient les déchets ferreux. Un barbu d'un fort gabarit et un enfant de dix ans environ s'occupaient de la besogne. Au loin, les crépitements de talkies-walkies provenaient des hauteurs. Quelques policiers y ont pris position. Leurs gestes faisaient comprendre qu'ils échafaudaient un plan d'intervention dans la cité ou son encadrement sécuritaire à long terme. Le bâtiment D de la cité Diar El Kaf se trouve à quelques mètres du bidonville rasé. L'immeuble faisant face au centre de soins de proximité baigne dans une grande anarchie. Les ordures sont partout. Tout autour, les baraques ont été démolies, les gravats demeurent sur site. Dans les coins, à l'ombre d'une chaleur suffocante, les gens discutent des émeutes et dénoncent les agissements inqualifiables des autorités qui ont promis des toits à des gens abandonnés par la suite dans la nature. Le groupe des jeunes qui donnaient la réplique à la police ont pris position en contrebas. Torses nus, les visages cachés pour d'éventuelles attaques aux bombes lacrymogènes, trois jeunes essaient de prolonger le climat d'émeute. Ils sont les plus déterminés à en découdre avec les services de sécurité. Un avenir incertain A l'intérieur de la cité, aucun policier n'a pris le risque de s'aventurer au risque d'envenimer la situation. Les jeunes révoltés se font rappeler à l'ordre par les autres membres du groupe agacés par les incessantes insultes qui remontent jusqu'aux maisons. Quand on est du côté de Diar El Kaf, on constate tout de suite que c'est la police qui amplifie les événements par l'importance du dispositif déployé. Dans les rangs des agents de l'ordre, c'est le désintéressement. Dans leurs communications à travers les talkies-walkies, les policiers se plaignent plutôt de la… chaleur ! D'ailleurs, un agent s'est évanoui à cause de la canicule. Au moment où trois jeunes et une centaine de policiers se regardaient en chiens de faïence, une cinquantaine de personnes se rassemblaient devant le siège de la wilaya déléguée de Bab El Oued, situé à un jet de pierre du théâtre des événements. Hommes et femmes ont été poussés vers la rue mitoyenne Abderrahmane Hami. A l'ombre, ils attendaient des nouvelles de la wilaya déléguée dont le siège leur est interdit. Aucun d'eux n'a été reçu. «Le wali délégué est au siège de la wilaya pour réunion», indique-t-on. A l'heure où nous mettons sous presse, le devenir des familles exclues du programme de recasement visant l'éradication de l'habitat précaire reste inconnu.