A quoi sert l'Assemblée populaire de wilaya ? La réponse est évidente si l'on se réfère au contenu de la loi 90-08 du 7 avril 1990 portant code de la wilaya. Ce texte accorde à cette institution décentralisée de l'Etat de larges compétences dont les plus importantes sont la mise en œuvre des actions de développement économique, social et culturel de leurs régions. Dans la réalité, les choses se passent autrement. En vertu de l'article 58 du code de la wilaya, les Assemblées populaires de wilaya ont pour mission de planifier l'aménagement de leurs territoires et de promouvoir, selon leurs spécificités, les secteurs d'activité qu'ils jugent prioritaires. Dans le même temps, elles s'investissent dans la résolution des problèmes économiques, sociaux, éducatifs et culturels des populations qu'elles sont censées représenter. La loi accorde à l'APW un rôle majeur dans la lutte contre le sous-développement et ses incohérences. Selon les articles 62 et 63, il échoit à l'Assemblée, non seulement de définir le plan d'aménagement de la wilaya et contrôler son application, mais, également, de prendre toutes les initiatives susceptibles de favoriser son «développement harmonieux et équilibré». Dans ce cadre, l'APW initie des actions de promotion de l'agriculture et du monde rural, de réalisation d'équipements hydrauliques, de construction d'établissements sanitaires, scolaires, culturels, sportifs, de loisirs et de formation. En collaboration avec les collectivités locales, elle engage des actions sociales en direction des zones défavorisées et met en œuvre des opérations permanentes en vue d'assurer la salubrité et l'hygiène publique. Elle apporte son soutien aux communes pour la mise en œuvre des programmes d'habitat et d'opérations de rénovation du parc immobilier. Au plan socioculturel, l'APW soutient et participe aux programmes d'activités sportives, culturelles et de jeunesse. A ce titre, c'est à elle que revient l'initiative de proposer la réalisation des infrastructures dédiées à la jeunesse et à la promotion de la culture. Enfin, elle peut arrêter toute mesure de nature à favoriser l'exploitation de son potentiel touristique et à encourager tout investissement. Les «bons» et les «mauvais» walis Dans la pratique, ces prérogatives ne sont pas correctement assumées par les APW. Dans la majorité des cas, elles se contentent d'entériner les décisions des walis, même si ces dernières sont parfois contradictoires avec la perception qu'ont les élus du développement de leur wilaya. Certains membres d'APW estiment qu'en leur qualité de «représentants élus» par la population et en tant que «citoyens de la wilaya», ils sont les plus aptes à définir les priorités en matière de développement. Ces élus «contestataires», minoritaires du reste, qui ne font en réalité qu'exercer leurs prérogatives, ne sont pas les bienvenus dans les réunions périodiques de l'APW. Beaucoup se font étiqueter d'«opposants» (au wali et par extension à l'Etat), d'autres de «mouchaouichine» (perturbateurs), alors que leur souci premier est de mettre en évidence les graves problèmes dont souffrent leurs électeurs. Nonobstant leur appartenance politique, à quel rôle doivent s'astreindre les élus ? «Faire de la figuration en levant la main pour entériner des décisions ou se considérer comme une force de proposition et, le cas échéant, défendre leur point de vue, leurs idées et leurs convictions», nous indiquent des membres de l'APW de Tizi Ouzou affiliés au RCD. Si des APW ont su tirer profit des textes régissant le fonctionnement de la wilaya, d'autres, très nombreuses, subissent toujours le «diktat» des walis. Les comptes rendus de presse sur les sessions ordinaires des APW démontrent, on ne peut mieux, cette inversion des rôles : ce n'est plus le wali qui exécute les délibérations de l'Assemblée populaire comme le stipulent clairement les textes, mais c'est cette dernière qui approuve ses décisions. En d'autres termes, c'est le wali qui imprime le rythme qu'il veut aux actions de développement local. Cette réalité est relayée par la vox populi qui croit dur comme fer que la situation prévalant dans chaque wilaya dépend intimement de la valeur intrinsèque de son wali. Ainsi, il y aurait de «bons» et de «mauvais» walis ; les premiers sont ceux ayant su «travailler» leur wilaya, les seconds sont ceux ayant échoué là où ils sont passés. On n'entendra jamais parler de «bons» ou de «mauvais» élus, les citoyens considérant leur rôle négligeable dans la conduite du développement. Les rôles mal perçus ? Cette incohérence se vérifie auprès des élus eux-mêmes. Des membres des APW de Tipaza, de Tamanrasset et de Skikda nous ont confirmé que le vote du budget ne donne lieu à aucun débat de fond. «C'est tout juste si on nous demande de lever la main pour approuver les affectations sectorielles», raconte un élu de l'APW de Skikda qui précise que «l'orientation des investissements, à travers l'affectation des budgets, ne répond pas aux attentes de la population de Skikda». Malgré les critiques des membres de l'Assemblée, précise un élu de Tipaza, «on continue à privilégier les régions à l'est de la wilaya et à ignorer le reste des régions où la misère ne fait que s'étendre». La plupart des élus que nous avons réussi à contacter sont unanimes à reconnaître que le rôle de l'APW dépend des hommes qui la composent. «Si l'Assemblée est forte et soudée, alors elle peut s'imposer», explique un élu de Tamanrasset. Pour des élus de Tipaza, «c'est une question de conviction politique». Selon eux, «si l'élu ne parle pas, s'il ne défend pas son point de vue et s'il ne soulève pas les problèmes de ses concitoyens, pourquoi siège-t-il à l'APW ?». Journaliste et ancien membre d'APW, C. L. considère que «le problème des APW et, d'une manière générale, celui de toutes les Assemblées élues, réside dans leurs capacités à appréhender les enjeux du développement». Or, affirme-t-il, «la majorité des élus ne savent ni lire ni écrire…». Pour B. M'hamed, administrateur à la wilaya de Chlef, «les préoccupations des élus sont légitimes, chacun essaye de défendre la région qui l'a élu. Or, il est des questions importantes qui leur échappent, qui font que l'Administration impose souvent ses choix en matière de priorités». Pour ce responsable, «on ne peut privilégier les habitants d'un quartier au détriment des populations de plusieurs régions déshéritées de la wilaya ; la loi du nombre compte certes mais il y a aussi une justice sociale et un équilibre régional à assurer». Est-ce à dire que l'Administration est infaillible et qu'elle peut passer outre l'avis des élus, au prétexte qu'ils ne sont pas imprégnés des réalités de leurs régions ? Pourquoi alors les partis osent-ils présenter des candidats sans niveau intellectuel et sans compétences particulières ? Pourquoi les walis passent-ils outre les prérogatives des Assemblées ? Le débat sur les Assemblées élues n'a jamais été clos en réalité.