Les habitudes se dissipent avec le temps, les valeurs se perdent. La joie, le plaisir, le bien-être durant le mois de ramadhan ont presque disparu. Cette année on ne peut pas parler de veillées, de soirées rassemblant les familles autour d'une meida garnie de plats de samsa, qtaief, m'hancha , zlabia, qalbellouz au milieu desquels la théière laisse échapper cette odeur de menthe fraîche qui, avec le parfum du jasmin et du basilic, encensait les cours des maisons, les terrasses, où les salons aux fenêtres grandes ouvertes accueillent la brise nocturne qui entraîne les rideaux dans une valse sans fin. Cette année, le jeûneur est déjà épuisé au moment du f'tour bien qu'il n'ait fourni aucun effort durant la journée. La chaleur accablante l'a affaibli. Son repas se limite à plusieurs verres d'eau et de limonade. Une volonté certes mais pas de force pour accomplir la prière des tarawih qui ne se terminera qu'après 22h30 dans des mosquées où la climatisation est impuissante. En sortant de la mosquée, de nombreux citoyens adeptes du café presse se ruent vers les comptoirs où ils accompagnent leur noir bien dosé d'une cigarette et une dose de «vichy». L'escale dans le café ne dure pas longtemps, le temps que la cigarette se consume, les moustiques et la chaleur chassant la clientèle. Au chef-lieu de la wilaya, la chaleur est suffocante aussi bien en ville que sur les hauteurs. Au niveau des cités des 300 Logements, cité Cnep, 112 Logements ou ou 250 Logements, la situation est identique. Une fois la nuit tombée, des essaims de moustiques ou mieux des escadrilles décollent des vides sanitaires d'où se dégagent également des odeurs nauséabondes qui viennent se mêler à celles des ordures ménagères tassées depuis la matinée. «On n'a pas où veiller», dit avec regrets Mustapha en avouant qu'il est éreinté juste après le f'tour. «Avec qui veiller ?», interroge notre ami, affirmant qu'il n'a pas trouvé avec qui jouer une partie de dominos. «Tout le monde se terre chez lui dans une pièce climatisée», déclare-t-il. Effectivement, pour profiter du climatiseur, on ne doit pas être nombreux dans une pièce. «Ici, le moustique vous dispute votre dessert» A El Khemis, aux environs de minuit, les murs et l'asphalte dégagent toujours la chaleur accumulée durant la journée. El Khemis n'a rien à envier à Aïn Defla pour son odeur écœurante et ses moustiques. «Ici, le moustique vous dispute votre dessert», plaisante Benyoucef en soulignant que les veillées du ramadhan c'est du révolu, de l'histoire ancienne. «Avant, on organisait des soirées, on veillait jusqu'au s'hor. A cette période-là, les gens étaient unis, il y avait une sorte de fraternité entre eux, il y avait la confiance et le respect mutuel», regrette Benyoucef en signalant que l'égoïsme et l'intérêt personnel priment aujourd'hui. «A El Khemis, les affaires ! Les affaires ! Les affaires, même à l'intérieur des mosquées», soupire notre ami qui se dit soulagé d'avoir vomi ces phrases. A Miliana, la fraîcheur encourage les habitants à braver les moustiques et les odeurs qui parviennent du côté ouest. La disponibilité des moyens de transport facilite les déplacements des familles après la prière des tarawih. Si les hommes osent une partie d'échecs, les femmes n'ayant pas pris la vitesse de croisière du ramadhan oublient les boqala, les medayeh et les ragots. «Elles sont fatiguées. Devant les fourneaux pendant plus de cinq heures, il y a de quoi être fatiguée», défend Hadja Mira, précisant que, curiosité de femme oblige, elles s'intéressent d'abord à ce qu'a préparé la sœur, la belle-sœur, la cousine et la voisine. A une heure du matin, les Rouinis dorment sur les terrasses des maisons, pas un chat dehors. A El Attaf, le garçon d'un café situé sur la RN4 nettoie la salle. Le patron faisant sa caisse nous servira des boissons fraîches, l'appareil à café vidé. «J'ai l'impression que les gens ne veillent plus comme avant», affirme Meregueb, en soulignant que la journée de jeûne est très longue. «De 4h à 20h, ce sont 16 heures de jeûne, il ne reste plus assez de temps pour veiller, surtout quand on doit travailler le lendemain», s'exclame-t-il. Les soirées culturelles ne sont pas pour demain, les responsables de la culture sont en congé, d'où le manque flagrant d'initiatives de la part des exécutants et des élus. Cependant, une catégorie de citoyens se permet le luxe de veiller durant ce ramadhan, il s'agit de ces «politicards» qui, dans des salons feutrés, bien climatisés, discutent des prochaines échéances, de la destitution de tel wali, tel chef de daïra ou de tel ministre, de la nomination de tel ou tel autre responsable. «Ils parlent surtout des projets qu'ils réalisent soit sous des prête-noms, soit en association avec des entrepreneurs privés», indique un de leurs amis