Dans une forêt canadienne, ce ne sont pas les gros bras qui manquent, puisque les bucherons y sont recrutés ès qualité. Ce qui est rare par contre c'est de rencontrer un Algérien parmi ces forces de la nature qui gagnent bien leur vie mais au prix d'efforts physiques qui vont parfois au-delà des limites des capacités humaines. Pourtant, Salah, l'enfant de Rouiba, est passé par là. Tout le monde dans la petite et paisible ville de la banlieue d'Alger se souvient de la «tête brûlée» qu'il était. C'est qu'en plus de sa taille de près de deux mètres et de ses cent kilos de muscles, il était aussi connu pour de menus larcins. Salah a souvent été pris par les services de police parce que quand il «opérait» dans le quartier ou à sa périphérie, il n'avait que ses poings comme arme. Certes, efficace dans l'action, son mode opératoire manquait de discrétion. Quand il n'était pas carrément reconnu par ses victimes, sa description permet aux enquêteurs de ne pas aller très loin dans l'investigation. A Rouiba, comme dans ses proches prolongements urbains, il n'y avait pas trente-six bonhommes à avoir sa carrure et à vivre de petits vols. Et puis Salah n'avait ni la fine roublardise de l'escroc ni la démoniaque vivacité des voleurs à la tire. Il se faisait tellement prendre et ses séjours en prison étaient tellement fréquents que les policiers du coin ont fini par le prendre en sympathie. Ils se disaient qu'un jeune homme aussi naïf devrait avoir un fond d'humanité qu'il faut sauver du pire. Un jour qu'il s'est encore fait prendre comme un bleu, le commissaire l'avait fait entrer dans son bureau et, dans un mélange de sérieux et de plaisanterie, lui dira qu'il n'était vraiment pas «fait pour ça» et lui avait conseillé, en rigolant de bon cœur, d'aller utiliser sa force des bras dans une forêt canadienne. Pour l'encourager et lui prouver sa bonne foi, l'officier de police lui avait même passé son dernier larcin et promis de l'aider à avoir un passeport et une «autorisation de sortie», ce qui n'était pas évident pour tout le monde à l'époque. Un mois après, Salah avait disparu de la ville et tout le monde s'en est rendu compte au bout de quelques jours, tellement sa silhouette ne passait pas inaperçue. Salah a bien fait un passage obligé en France où il a vivoté comme il pouvait, mais son objectif était tout tracé par les paroles du commissaire et son rire bienveillant. Salah a bien fini dans une forêt canadienne, après un bref passage à Montréal où une agence de placement n'avait pas besoin d'autres arguments que sa masse musculaire et sa taille. Salah bossait comme un forcené et économisait pratiquement tout ce qu'il gagnait. Les années passaient et dans l'isolement où il était rien ne rappelait à Salah le Ramadhan qu'il a pourtant scrupuleusement observé quand il était au pays, en dépit de son manque de vertu. Un jour, il avait décidé de rentrer au pays et en s'arrêtant à Marseille, dernière escale avant Alger, en plein Ramadhan. Dans cette ville, il avait retrouvé des amis du bled en pleine ambiance de jeûne. En le voyant se taper rageusement la tête, ses copains lui avaient demandé pourquoi. Voici sa réponse : «J'ai volé de pauvres gens, j'ai agressé des hommes trop faibles pour se défendre, et je suis sûr qu'ils vont me pardonner ça. Mais s'ils apprennent que je n'ai pas fait le Ramadhan pendant des années….» Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir