Hocine est maçon. Dans sa famille, on ne choisit pas son métier, on l'hérite presque naturellement et en dehors de son petit frère et deux cousins qui ont eu la chance de réussir leurs études et d'embrasser des carrières plus valorisantes et moins pénibles, tous les mâles de la tribu ont «accroché le marteau», comme on dit dans le coin. Le travail a bien sûr évolué avec l'évolution de l'architecture, des dimensions des maisons et des matériaux depuis l'arrière grand-père qui a légué la profession à son fils. Et la chaîne a continué. Depuis près d'un siècle, la famille est désignée «ès qualité». La famille des maçons. Il ne viendrait à personne dans la région l'idée d'évoquer un des leurs sans lui coller systématiquement un métier devenu une marque de fabrique. Il y a bien un peu d'ironie dans quelques bouches malveillantes au moment de s'adresser à eux ou en les évoquant dans quelque discussion de village, mais dans l'ensemble on leur voue respect et reconnaissance. N'ont-ils pas construit la majorité des maisons du village ? N'ont-ils pas aidé quelques villageois de modeste condition par des journées de labeur gratuites ou en attendant des années avant d'être payés pour leurs services ? Et puis le savoir-faire. Certains ont beau dire que leurs méthodes sont dépassées, qu'ils ont tellement de demandes qu'ils bâclent leur travail, ils font figure d'assurance tous risques et ceux qui sollicitent Hocine ou quelqu'un d'autre de la famille sont plutôt tranquilles quand aux délais de réalisation et la qualité du travail. On raconte que le père à Hocine, soucieux de livrer une maison pour une famille d'émigrés qui allait arriver au bled pour y passer l'Aïd, se faisait servir un repas sommaire sur son échafaudage pour rompre le jeûne. Pour rigoler, quelqu'un avait même posé la question si le brave maçon n'avait pas confondu à un moment ou un autre la cuiller et la truelle. Hocine est maintenant introduit dans les chantiers de nantis qui construisent des villas cossues sur les hauteurs d'Alger. Et quand un de ses patrons lui demandait d'interrompre le travail à deux ou trois heures de l'Adhan sous prétexte que les journées de Ramadhan sont particulièrement pénibles, Hocine lui racontait l'histoire, en précisant qu'en plus, lui il a la chance de travailler au mètre carré et chaque instant passé sur l'échafaudage lui permettait de gagner plus de temps et d'argent, alors que son père était rémunéré à la journée. Et la journée, c'est le petit matin au coucher du soleil, parfois un peu plus. Pas huit heures. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir