C'est le dernier jour du ramadhan. Il n'en a pas vraiment la force, mais Hassan doit faire son bilan. Et les bilans, ça le connaît, puisque comptable, il en fait régulièrement pour son entreprise. Au moins une fois par an, sans compter les «évaluations de conjoncture», pour parler comme les gens du CNES. Hassan est devenu comptable parce qu'il faut bien faire quelque chose quand on a raté son bac, qu'on n'a pas du tout l'intention de le repasser et qu'on manque mortellement d'ambition pour aller tenter quelque chose d'extraordinaire. Il savait même qu'il allait le rater ce bac, pour la simple raison qu'il n'a rien fait pour l'avoir. Elève du «milieu du tableau» comme on dit pour les clubs de foot qui font de la bonne figuration, il a toujours compté sur son intelligence moyenne pour passer les classes et l'année scolaire durant, il va à l'école comme on accomplit une formalité. Régulièrement, laborieusement. Le bac, l'université et les grandes études, ses parents y avaient pourtant cru. D'abord parce que Hassan est un garçon sans histoires à qui on ne connaît ni vice, ni passion. Ensuite parce qu'il n'a jamais tenté de tempérer les ardeurs et les préparer à l'échec qu'il savait inévitable. Ils n'étaient pas du tout préparés à l'échec, mais leur rejeton tellement gentil et sans histoires qu'ils lui ont presque pardonné ça. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ils se sont dit, résignés, qu'après tout, il n'y pas que les études dans la vie. La preuve, Hassan a fini par être l'enfant idéal dont ils ont toujours rêvé. Un boulot, une femme, des enfants et un appartement. Que demander de plus ? Après une courte formation, Hassan a été engagé par un expert comptable, avant d'atterrir dans une entreprise privée qui a pignon sur rue. Il était bien payé, avait une voiture de service, «mais» comme le lui rappellent ses amis du secteur public, Hassan travaillait dur. Pendant le ramadhan, c'était tellement difficile qu'il lui est arrivé de songer à rompre le jeûne en milieu de journée, mais se ravisait à chaque fois, au prix d'efforts surhumains. Hassan alignait des chiffres à donner le tournis, comptait, recomptait, vérifiait et comparaît toute la journée, avant de remettre le résultat de son travail à son chef. Et il arrive encore que ce dernier le lui renvoie, pour une erreur ou un doute. Hassan trime vraiment pendant le ramadhan. Le soir, dans la sérénité du café terminant le f'tour, il se mettait à… compter les jours passés et les jours qui restent, comme il comptait les heures, puis les minutes qui séparaient sa sortie du boulot de l'Adhan. Et il se rendait compte que tous comptes faits – sans jeu de mots, Hassan n'en fait jamais – c'était plus compliqué. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir