Agadez, distante de plusieurs centaines de kilomètres d'In Guezzam, sur la route de Niamey, est la première localité que l'on rencontre après une journée de piste dans cette immensité désertique où la misère des populations locales est d'un autre âge. Le premier véhicule qui passe par là attire des hordes d'enfants et des femmes squelettiques et à moitié nues, sortis de nulle part crier leur misère. Cette région de l'Aïr, riche en mines d'uranium, procure au Niger, le pays le plus pauvre du monde avec le Mali et la Mauritanie voisins, l'essentiel de ses recettes d'exploitation de cette matière première stratégique par les compagnies françaises, de quoi assurer le minimum vital pour lutter contre le taux de mortalité infantile le plus élevé au monde. Une rente minière misérable qui n'assure rien pour la survie. L'argent de l'uranium nigérien Soucieuse de consolider durablement sa présence dans tous les pays du Sahel, Al Qaïda au Maghreb a très vite compris l'enjeu de cette misère en se montrant autrement plus généreuse avec les populations les plus pauvres du nord du Niger. Avec l'argent que la France refuse au Niger. Celui des rançons. A Agadez, les terroristes sont désormais chez eux. Là-bas, on peut aussi fréquemment croiser des étrangers dans le seul hôtel-bar géré depuis le début des années 70 par un couple de Français, tout comme à Zinder et à Tahoua, à une journée de piste de là. La plupart sont des employés de mines d'uranium qui ont choisi cette terre de personne pour de gros avantages salariaux. C'est dans cette région de l'Aïr que cinq Français ont été enlevés la semaine dernière, avec deux autres collègues africains, vraisemblablement par le même groupe de Abdelhamid Abou Zeid qui a exécuté, le mois dernier, leur compatriote pris en otage à peu près dans les mêmes conditions, quatre mois plus tôt. Cette nouvelle prise d'otages n'est donc pas inédite. Depuis le début des années 2000, cette organisation terroriste a choisi de s'établir dans le nord du Niger, tout près des intérêts français, un choix qui ignore toutefois les frontières dans le tout Sahel qui s'étend sur 4 millions de km2. L'objectif est clair : faire un maximum d'otages parmi les Européens en ciblant particulièrement les ressortissants français. Pourquoi spécialement les Français ? Un compte à régler avec la France Le groupe de Abou Zeid a un compte à régler en particulier avec le gouvernement français depuis que Paris avait lancé son aventureuse opération militaire au nord de Arlit (au Mali) pour tenter de libérer l'ingénieur français entre les mains d'Aqmi. Plusieurs terroristes avaient été éliminés certes par cette unité d'élite de l'armée française, mais l'opération a tourné au fiasco total : le ressortissant français est exécuté sauvagement par ses ravisseurs qui ont juré depuis de s'en prendre aux intérêts français et pas seulement dans le Sahel. Depuis que la nouvelle de la prise d'otages de l'Aïr s'est confirmée, Paris appelle de tous ses vœux les conditions d'une rançon ou un échange de terroristes emprisonnés en Mauritanie pour sauver la vie de ses cinq ressortissants. Un peu le scénario espagnol qui a permis à Omar Sahraoui de quitter la prison de Nouakchott et d'être échangé contre les trois Espagnols. C'est le scénario idéal pour Brice Hortefeux, le ministre français de la Sécurité, qui semble avoir pris très au sérieux une information «venue d'Alger» sur la préparation imminente d'un attentat suicide en France. Les précisions de la source algérienne (une femme accomplirait cet attentat inédit en terre française) a ajouté au désarroi à l'Elysée qui venait à peine de lancer sans trop oser y croire une opération de recherche conduite par 80 soldats d'élite dans l'espoir de retrouver vivants les cinq otages français. C'est quelque part la réédition de l'opération du Nord du Mali qui avait tourné au désastre car, selon un expert en terrorisme, «l'initiative française sur un territoire de 4 millions de km2 c'est un peu comme si l'on cherchait une épingle dans une meule de foin». 5 millions d'euros par tête d'otage Dans cette nouvelle affaire de prise d'otages, Paris est en train de payer le prix de sa maladroite politique antiterroriste au Sahel dont les actes ne correspondent pas aux principes. Officiellement, le gouvernement français a de tout temps appelé à ne pas céder au chantage terroriste. Une position de fermeté qui perd toute sa signification dès que la vie des ressortissants français est en jeu. La première erreur fut lorsque le 14 décembre dernier, Bernard Kouchner et le secrétaire général de l'Elysée s'étaient rendus dans la plus grande discrétion à Bamako pour négocier la libération de Pierre Camatte et de son compatriote pris en otage par Aqmi, contre celle des quatre terroristes, dont deux Algériens, réclamée par Abou Zeid. Pour ce chef terroriste, la France a cédé à ses conditions et il n'y a pas de raison qu'elle ne cédera plus, tout comme l'a fait, en août dernier, le gouvernement espagnol qui a payé entre 7 et 8 millions d'euros pour obtenir la libération des trois catalans enlevés le 29 novembre dernier. Depuis, Aqmi a fixé le tarif de 5 millions d'euros par tête d'otage. C'est vraisemblablement ce prix multiplié par 5 (ou 7) que le gouvernement français, encore sous le choix de la mise à exécution par Abou Zeid de sa dernière menace, sera invité à payer. A moins qu'Aqmi n'ait déjà décidé du sort tragique des otages français s'ils étaient aux mains de l'irréductible Abdelhamid Abou Zeid et non de ceux de Mokhtar Benmokhtar que les services de renseignements espagnols décrivent comme plus flexible et plus intéressé que le premier par les rançons. La première source de financement du terrorisme dans le mord de l'Algérie. Le rêve de Paris Depuis le paiement voilà une dizaine d'années par l'Allemagne, l'Autriche puis le Canada, l'Italie et, surtout l'Espagne, de fortes rançons aux groupes terroristes que l'Armée nationale populaire a chassé du grand Sud algérien, Aqmi a pu amasser une cinquantaine de millions d'euros. Le trafic d'armes en direction de l'Algérie a repris depuis, forçant le gouvernement algérien à pister cette source juteuse de financement du terrorisme avec l'argent des Occidentaux. Si la marge de manœuvre dans le trafic d'armes vers l'Algérie des groupes de Abou Zeid et Benmokhtar est des plus réduite, elle est, en revanche, beaucoup plus fluide au Niger et au Mali où les terroristes sont mieux équipés que les armées locales, ou vers la Mauritanie où Aqmi mène fréquemment des opérations contre l'armée mauritanienne. C'est une aubaine pour l'armée française qui rêvait depuis toujours de reprendre pied militairement dans la région, à plus forte raison cette année depuis que s'est constituée sans elle un commandement régional de lutte contre le terrorisme dont le siège est à Tamanrasset. La couverture aérienne assurée par la France à l'armée du général Mohamed Uld Abdelaziz relève du rêve de cette stratégie. On comprend dès lors le silence d'Alger et de Bamako face à ce coup de pouce français à l'armée mauritanienne. Voilà tout l'enjeu au Sahara et au Sahel où la coopération militaire régionale est minée par les desseins de l'ancienne puissance coloniale dont les capacités de pression sur les gouvernements des pays sahélo-sahariens semblent encore intactes et par la méthode retenue par les gouvernements occidentaux de payer cash les rançons s'agissant de la vie de leurs ressortissants. Les avertissements d'Alger De grands journaux espagnols comme El Periódico ont largement repris ce week-end la déclaration du ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel, critiquant le paiement de rançons au terrorisme. Ils ont fait observer que «le ministre algérien n'a certes pas cité nommément un pays précis mais que ses critiques constitueraient une allusion claire à l'Espagne qui a payé une rançon pour obtenir la libération de ses trois ressortissants. Après avoir précisé que M. Messahel a fait cette déclaration «en présence du secrétaire d'Etat espagnol aux Affaires étrangères, Juan Pablo de Laiglesia», lors de la visite de ce dernier à Alger la semaine dernière, El Periódico rappelle que «l'Algérie qui lutte depuis deux décennies contre le terrorisme s'emploie activement à faire adopter par les Nations unies une résolution criminalisant le paiement de rançons au terrorisme». Quelques jours auparavant, tour à tour, l'ambassadeur d'Algérie à l'ONU, M. Benmehidi, et Rezzag Bara, conseiller pour les Affaires de terrorisme à la présidence de la République, avaient averti, à New York, que le paiement de rançons allait encourager Aqmi à multiplier ses prises d'otages. Un pronostic, hélas, qui vient de se vérifier.