Avec son récent ouvrage Dans l'ombre d'Al Mansour, Josiane Lahlou signe et persiste dans ses écrits recherchés et entreprend un pan de l'histoire de l'Andalousie, elle qui avait ces dernières années entrepris de raconter la saga colorée et mouvementée des Numides. Ses ouvrages, notamment Jugurtha ou le refus, Juba 1, lettre à l'invisible, Ptolémée le dernier pharaon de Maurétanie et Massinissa le lion de Numidie, entament ce cycle de l'histoire du pays en alternant avec doigté et subtilité des faits historiques et une histoire romancée. Avec une rigueur sans pareille, une fluidité dans le récit, elle nous emmène dans les dédales de l'antiquité à la découverte de héros magnifiés ayant marqué l'histoire par leurs hauts faits et valeureuses conquêtes. Dans cet entretien, ce docteur en littérature française et comparée, professeur honoraire dont la rigueur et la rectitude sans faille, cerne ses personnages pour mieux appréhender ses héros légendaires souvent entachés de rumeurs et les démystifier. Le Temps d'Algérie : Pourquoi ce vif intérêt pour l'histoire ? J. L. : L'histoire a toujours été une passion pour moi. Je ne me suis jamais introspectée pour comprendre cet attachement, mais j'estime qu'elle nous permet de mieux cerner l'évolution du monde, de mesurer nos limites et de comprendre plus aisément ce qui pourrait être fait pour aider l'humanité à mieux vivre son avenir en tenant compte des leçons du passé. Il est nécessaire, dans ce but, de retrouver toujours la vérité historique souvent camouflée par les volontés politiques d'un moment. Nous avons tendance à embellir l'histoire de certains hommes ou de certains pays de façon déraisonnable. Il convient de redonner une valeur réelle à des êtres remarquables oubliés et à certaines civilisations, trop souvent dévalorisées au bénéfice de vainqueurs éphémères. En étudiant Juba II par exemple, j'ai voulu montrer que le captif de l'heure était digne d'être considéré comme un être remarquable d'une très grande culture, capable de se mesurer avec les plus lettrés des Romains de son temps (un Pline par exemple n'a pas hésité à piller son œuvre !). Il est peu connu. Il faut lui redonner une place plus grande dans le royaume des ombres... C'est mon sens de la justice qui me pousse à agir dans ce domaine. Dans votre récit, où commence l'histoire romancée et où s'arrête l'histoire ? Je privilégie la vérité historique. L'aspect romancé de mon œuvre n'intervient que pour redonner vie à une époque en introduisant des personnages de moindre importance, issus du peuple. Je me permets de les faire évoluer à ma guise, car s'ils n'ont pas existé, ils sont le reflet de cette masse mouvante, incertaine mais attachante et trop souvent oubliée, celle des plébéiens, des sans voix, des obscurs. Ils restituent le parfum d'un temps. Ils sont la vie ! Après avoir relaté l'histoire des rois numides à travers les ouvrages relatifs à Ptolémée, à Jugurtha et à Massinissa, vous évoquez un pan de l'histoire de l'Andalousie. Pourquoi ce registre ? Pourquoi avoir choisi l'Andalousie ? L'une de ces raisons tient au fait que j'ai connu des descendants de ces Andalous qui n'ont jamais oublié cette terre que leurs ancêtres ont dû quitter après la reconquête chrétienne. Mais j'ai aussi été séduite par une certaine ouverture culturelle due à la cohabitation de plusieurs ethnies. Je continue à juger nécessaire, pour l'avenir de l'humanité, ces mélanges de races et de religions. C'est lorsque les rois catholiques ont souhaité le sang pur (quelle absurdité !) que les bûchers de l'Inquisition se sont élevés. C'est après le rejet de l'édit de Nantes que les protestants français ont quitté un pays devenu intolérant et ont porté ailleurs leur savoir-faire... Cela ne veut pas dire que tout a été merveilleux en Andalousie. Il y a des aspects «ombres et lumières» que je veux tenter de développer. Je pense écrire l'histoire de Abderrahman III de Cordoue pour cette démonstration. En quoi Al Mansour capte-t-il l'attention au lieu de Boabdil ? Quant à Boabdil, je l'ai étudié et je n'ai pas une grande sympathie. Il a lutté contre son père avec un manque de maturité politique indéniable. Il est vrai que le climat social était devenu terriblement difficile pour les musulmans et les juifs en Espagne au XVe siècle. Al Mansour a retenu mon attention, car cette ascension exceptionnelle, due à un orgueil démesuré, me semble être une des raisons principales de ce qui a entraîné la décadence du califat de Cordoue. Il s'est servi lui-même au lieu de penser à son peuple. La succession des guerres entreprises sous son égide ne pouvait qu'entraîner le pire. Un Napoléon a eu le même parcours, car il n'a pu arrêter ses ambitions. Il est vrai qu'un guerrier a tendance à ne plus pouvoir stopper ses armées. Ce n'est pas à leurs peuples que pensent certains conquérants mais à leur gloire personnelle, cela ne peut qu'être négatif. Entretien réalisé par Kheira Attouche