Kamel Bouchama n'est plus à présenter tant ses écrits prolifiques lui confèrent une patente audience. Avec son dernier ouvrage historique "De iol, à Cæsarea, à Cherchell" aux éditions Mille Feuilles, l'auteur rompt pour un moment l'écriture sur les arcanes de la politique pour entamer un nouveau cycle, le segment historique. Ce registre cardinal montre son intérêt pour son pays et pour l'histoire. De son ancrage culturel incommensurable, il évoque l'histoire sans se débarrasser des scories du passé, en glorifiant les valeureux événements et en notant les défaites et les déconvenues. Une histoire authentique, vraie, à l'image de ce peuple plein de bravoure. Il constitue une halte pour revisiter l'histoire grandiose et avérée de notre prestigieux pays à travers Cherchell, capitale des rois numides dont Ptolémée fut le dernier pharaon de la Maurétanie césarienne. Cette réhabilitation de notre histoire vise à cimenter notre identité nationale et à permettre aux jeunes générations de sauvegarder notre mémoire collective et de s'en enorgueillir. Comment ne pas user de dithyrambes et d'éloges, lorsque l'on sait que les rois numides érudits et valeureux ont fait face à l'imposante Rome ? Et à bien d'autres envahisseurs ? Kamel Bouchama plaide ardemment pour ce souci de la préservation de la parole du terroir et du fond historique. Il focalise sur ce besoin de racines et d'enracinements qui fait notre fierté et pertinence. Il fait l'apologie de cette période donnée et la bravoure de ce peuple d'érudits dont témoigne le patrimoine historique, culturel et artistique de Cherchell. Il use de panégyriques pour dire la réalité de ce pays qui a connu d'innombrables conquêtes et invasions. Ayant entrepris ce volet historique, l'auteur portera dans son prochain roman l'Andalousie avec ses hauts faits et ses déboires avec la chute des Abencérages. Dans cet entretien, Kamel Bouchama livre avec sagesse et pondération la vision de l'histoire de sa ville natale. Pourquoi avoir écrit sur Cherchell ? Est-ce par souci historique au regard de cette ville au passé de grandeur et en tant que capitale de la Maurétanie césarienne ? J'ai écrit sur plusieurs sujets intéressants, surtout d'actualité ; pourquoi, me suis-je dit, ne pas écrire sur l'histoire, en commençant par raconter cette cité millénaire, ma ville natale ? D'ailleurs ce livre je devais l'écrire. C'était une idée qui me taraudait depuis très longtemps, surtout que j'aime tout ce qui a trait à notre culture ancestrale, à nos aïeux, à nos souvenirs et, je ne le dirai pas assez, à notre mémoire collective et à notre patrimoine lourd, très lourd, que nous n'avons pas su évaluer et apprécier à sa juste valeur. Cela étant la première motivation. Quant à la deuxième, elle relève d'un sentiment transcendant pour une cité qui, hier, vivait un environnement céleste, une atmosphère spirituelle particulière, provoquée par la vue de tant d'ingéniosité créative et artistique que célébraient les temps d'alors. Ainsi, ces millénaires sont au bout…, ils nous viennent à travers les vertus du pouvoir de Caesarea, à travers la sagesse et le savoir des rois berbères…, à travers leur développement, leur urbanisme et leur architecture qui étaient d'une facture très soignée Pour cela, votre question est juste. Bien sûr que j'ai écrit par ce souci historique ! Et n'ai-je pas raison quand aujourd'hui, malgré le délabrement prononcé qui entoure Cherchell, l'on devine à travers ses vestiges tout un raffinement qui nous comble de fierté ? Et là, force est de constater que le rayonnement et la notoriété de cette cité à travers l'histoire sont liés aux qualités morales, intellectuelles et scientifiques des souverains successifs qui ont régné. Je les formule sous forme d'affirmations pour relever cet esprit éminent, avec cette fierté de celui qui s'estime satisfait de ses aïeux. Et je me dis, presque avec fatuité et condescendance, en me permettant d'aller jusqu'à l'excès : comment cette capitale ne pouvait-elle pas avoir toute cette magnificence quand elle tenait pour souverain un homme de sciences, doublé d'un inlassable écrivain et historien ? Comment ne pouvait-elle pas connaître tout cet éclat quand sa destinée se trouvait aux mains de Juba II, un monarque qui chérissait la Grèce comme son ancêtre Micipsa et l'histoire comme son grand-père Hiempsal ? Comment enfin cette capitale n'allait-elle pas progresser quand son protecteur s'adonnait aux travaux scientifiques qui lui conféraient une réputation dans tout le Bassin méditerranéen et même au-delà ? J'ai écrit donc cet ouvrage pour ouvrir les yeux de la jeunesse sur la richesse culturelle, sociale et historique de cette contrée, en même temps que j'ai ce désir de lui présenter la reconstruction du passé par l'intelligence, afin de préserver et d'entretenir la mémoire collective et séculaire. Il lui servira surtout pour son information et sa formation, elle qui est avide de savoir… Plus encore, des écrits de ce genre serviront à cimenter notre identité nationale, longtemps confinée dans le carcan des querelles intestines et des luttes de clocher, une identité pervertie à dessein, à des fins inavouables. Iol, Ceasarea, Cherchell, qui est votre lieu de naissance, a-t-elle gardé les traces de ces divers occupants dans les mœurs et les us de ces habitants ? Avant toute autre réponse, je voudrais dire à mes lecteurs que Iol-Caesarea-Cherchell a connu des époques riches en vie politique, culturelle, artistique et spirituelle qui ne pouvaient qu'engendrer des chefs-d'œuvre de création. Les vestiges et restes de monuments sont là pour témoigner de ce que fut ce grand royaume. Ainsi, je ne m'étonne pas qu'elle ait pu enfanter ou adopter, des siècles après, de célèbres combattants, de grands érudits, d'illustres politiciens et hommes de culture. C'est pour cela qu'aujourd'hui elle doit être entourée d'une certaine attention pour qu'elle puisse être réhabilitée dans le contexte de l'histoire authentique, la vraie, l'incontestable, l'incontournable. Ne fut-elle pas quand même une grande capitale de la Maurétanie, avec ses cent mille habitants. Excusez du peu ! Cette réhabilitation, qui ne se fera pas uniquement pour Cherchell, est une œuvre capitale pour l'avenir, car le besoin de racines et d'enracinement pour l'homme est naturel…, il est vital, tout comme l'air. Après cette brève digression, je reviens à votre question qui est d'une grande importance, en effet. Pour être franc avec vous, je peux vous dire que Cherchell d'aujourd'hui a beaucoup perdu de ses us et coutumes, par rapport à ce qu'elle était hier. Comment cela ? Eh bien, tout simplement, parce que ceux qui doivent les perpétuer au sein d'une jeunesse toujours avide de savoir - je l'ai déjà dit - ne sont plus là. A cela s'ajoute le fait que la ville n'est plus cette cité d'antan, et ses habitants ont perdu ce cachet "d'insulaires", d'ailleurs comme l'ont perdu ceux de Collo, Jijel, Azzefoun, Dellys et autres Ténès ou Mostaganem, pour ne citer que ces villes qui ont un passé conséquent. Loin de moi cette conception autarcique, ou isolationniste peut-être, que l'on peut comprendre à travers mon discours, mais nos cités ont rompu malheureusement sous le poids de problèmes endogènes et exogènes à la région, dont l'exode rural, qui a trouvé ses raisons dans les nombreuses difficultés qu'a connues notre pays au cours des dernières décennies. De ce fait, Cherchell a été déstructurée, désurbanisée, déstabilisée même. Elle vit son bonhomme de chemin dans le délabrement et l'indifférence lorsqu'on constate les dégâts faits par la quasi-négation d'un passé et de l'histoire de la région qui, en partie, expliquerait l'état de crise actuelle de notre société. Cependant, il reste quand même quelque chose des traces de ces différents occupants à travers les siècles, en matière des us et des coutumes, dans Cherchell d'aujourd'hui… Difficilement, je l'avoue, mais il reste cet espoir de bien faire, en conservant l'essentiel chez ces citadins qui trouvent leurs repères, besoin naturel à toute société et être humain, dans leur passé prestigieux. Oui, il reste encore des traces, parce que tout simplement il y a encore ces illustres familles que les différentes civilisations qui se sont succédé ont rendues plus distinguées par leur raffinement et leur générosité. Il existe ces familles qui persistent à les faire revivre, à chaque occasion, en redonnant à leur ville son cachet de cité où vit une population qui ne cesse de se réclamer de nobles origines mais aussi de traditions urbaines propres et particulières aux autochtones, issues principalement de l'antique Berbérie, des proscrits de l'Andalousie et, pour une minorité non négligeable, d'implantation plus récente, de la puissante dynastie des Ottomans. Une population, hétérogène à l'origine, dont les différentes lignées, fières et augustes, à travers le temps et les péripéties de l'histoire, lui ont donné une notoriété qu'elle tient à garder et à sauvegarder difficilement au milieu de nombreuses contraintes. C'est cela Cherchell aujourd'hui ! Cependant, ne pouvant résumer l'ensemble de ces us et coutumes, je conseillerai à ceux qui veulent en prendre connaissance de retourner à l'ouvrage qui les énumère avec beaucoup d'élégance et de générosité. Ce n'est pas de la publicité, loin s'en faut, mais franchement je ne peux restituer succinctement des siècles d'histoire et les interpréter en un paragraphe.
Ne pensez-vous pas que chaque ville d'Algérie mérite une halte pour évoquer les hauts faits historiques ? En effet, chaque région, mieux encore, chaque coin de notre pays peut raconter de longues épopées de gloire et d'héroïsme, mais également de tristes aventures vécues sous le joug des différents colonialismes qui se sont relayés en notre sol depuis les Romains jusqu'aux soudards de l'armée française. Assurément, chaque coin de notre territoire a assisté au défilé des siècles à la rencontre d'anciens souverains, illustres et célèbres en leur temps, dans toutes les régions de la Numidie et plus tard de la Maurétanie, régions où sévissait l'hégémonie militaire et culturelle romaine. A l'horizon, la Berbérie et plus communément le pays des Imazighen, "hommes libres" toujours fiers, autonomes et souverains. Chaque coin sent, à travers les émanations que répand cette terre fertile et qui embaument l'atmosphère de notre pays, une riche histoire. Il sent également que les bourreaux de Rome, les dévastateurs Vandales, les terrifiants Vikings et autres colons et tortionnaires de "l'Algérie française" n'ont pu atténuer la volonté de résistance de notre peuple et sa tendance au permanent : son refus du colonialisme, sous toutes ses formes. Tout cela mérite une halte pour dire que nous devons préserver l'incandescence de cette flamme qui nous emporte vers plus d'enthousiasme et nous exhorte à faire toujours mieux dans le souci d'un véritable retour aux sources. C'est pour cela que cet ouvrage sur Cherchell se veut une contribution modeste qui, je le souhaite, incitera les lecteurs à en savoir plus sur nos ancêtres et sur nos arrière-grands-parents, qui étaient non seulement respectueux du patrimoine historique et culturel mais également tenaient à ce que l'héritage soit transmis sans falsification, car ils étaient fiers de leur passé et de leur présent. Oui, ceux-là tenaient à ce que tout soit transmis… Mais comment ? La réponse est dans votre question…, pleinement ! Ainsi, une halte conséquente pour la réhabilitation de l'histoire authentique, la vraie, l'incontestable, l'incontournable, et son enseignement avec l'esprit de l'honnêteté, de l'impartialité et de la vertu sont une œuvre vitale pour l'avenir. Ainsi, tout le monde sera convaincu, à travers un sérieux constat, que l'imposture historique, la mystification volontaire et l'étalage ostentatoire de l'artifice ne sont plus de mise, puisqu'ils sont, en grande partie, à l'origine de la crise multidimensionnelle que traverse le pays. Cette conduite qui faisait dans l'aliénation, parce que des "chefs bien inspirés" soutenaient que nous n'étions pas capables de jugement, nous reléguait au stade des enfants qui n'ont point de véritable mémoire. C'est pour cela qu'il faudrait écrire notre histoire… Il faut l'écrire avec fierté car nous avons de quoi remplir des pages et des pages, dans de grands volumes, tellement elle est riche, passionnante, instructive. En l'écrivant proprement et en évoquant les hauts faits historiques, nous allons réconcilier les citoyens avec leur mémoire et alimenter cette mémoire par des événements oubliés, occultés ou tout simplement prisonniers des travaux de spécialistes souvent inaccessibles. Car, comme d'autres citoyens dans le monde, écrivait le professeur Ahmed Djebbar, me préfaçant mon prochain livre sur l'Andalousie, "les Algériens sont entourés, cernés par leur histoire. Mais ils ne le savent pas, ou si peu. Et quand ils en prennent conscience, ils constatent qu'on ne leur a pas appris à voir les traces matérielles de cette histoire dans les monuments qui les entourent, à la lire dans les manuscrits écrits par leurs ancêtres et encore moins à l'étudier puis à en faire un instrument culturel puissant".
Que représente pour vous l'écriture après avoir occupé les portefeuilles de ministre ? Cela vous change-t-il énormément de la politique ou bien la littérature constitue une part de réalité ? D'abord, je tiens à vous rappeler que j'ai toujours écrit, même du temps où j'occupais de hautes fonctions dans le FLN et dans le gouvernement. J'écrivais énormément, contrairement à d'autres responsables, parce que j'avais et j'ai toujours des choses à dire. En d'autres termes, je prends constamment mes responsabilités, courageusement, honnêtement, sans avoir peur des réprimandes et, également, sans m'attendre à des satisfecit. J'écrivais dans le temps dans la presse nationale, arabophone et francophone. Et, une fois "mis en cale", comme des milliers de cadres de valeur, j'ai eu tout le temps pour me manifester à travers l'écriture d'ouvrages, tout en continuant à collaborer avec la presse. C'est là mon violon d'Ingres, et je me plais énormément, parce que je produis, tout en m'occupant sainement, dans un créneau noble et valorisant. Que puis-je espérer de plus ? C'est alors que je peux vous répondre, tout haut, que l'écriture est pour moi, aujourd'hui, ce que l'oxygène est à tout être vivant. Elle est, non seulement une recette pour concrétiser et enrichir ma présence dans ce monde, mais toute ma raison d'être, après mes obligations avec Dieu, ma patrie et ma famille. Quant au deuxième pan de votre question - très intéressant d'ailleurs -, je réponds directement, sans détour. Vous savez, la politique s'inscrit constamment dans un registre fluctuant. C'est sa nature et elle ne peut changer. Etre responsable, surtout dans notre pays, c'est subir, à un moment ou à un autre, le destin des feuilles mortes, comme disait un critique étranger. Donc, très jeune, lorsque j'ai eu l'honneur d'accéder à de très hautes responsabilités, je n'ai jamais été extasié - je dis bien jamais - par cette montée dans la hiérarchie du pouvoir de mon pays. Je vivais très modestement mes charges, en pensant toujours à cette "épée de Damoclès" qui était là, sur ma tête… Vous devinez le reste et les conséquences d'après, c'est-à-dire la marginalisation, l'oubli et d'autres pratiques que nous savons si bien employer. Dans toute cette ambiance, n'est-ce pas que la littérature demeure une bonne thérapie contre le mensonge et la duplicité de la politique ? N'est-ce pas qu'elle est plus noble pour ceux qui savent en faire un bon usage, parce qu'elle est la vérité, parce qu'elle est cette part de réalité ? Avez-vous d'autres projets d'écriture ? J'en ai beaucoup. Un autre livre d'histoire paraîtra dans les prochains jours. Il est actuellement sous presse. Il s'intitule : La clé d'Izemis ou Les Mémoires anachroniques de l'Andalousie perdue. Ce livre sera un outil important et très intéressant pour les jeunes et les moins jeunes, - j'anticipe un peu sur l'accueil de cet ouvrage -, car il raconte l'Andalousie de nos ancêtres sous une forme romanesque. J'ai fait beaucoup de recherches, et le résultat est ce livre qui représente pour moi une première tentative qui ne devrait pas être la dernière. Là, je raconte l'épopée d'un destin particulier comme fil d'Ariane dans le labyrinthe et le tourbillon de l'histoire qu'ont façonnée et vécue nos ancêtres. On y apprend beaucoup de choses, on y croise beaucoup de personnages qui ont réellement existé et on y trouve des éléments pour sa propre réflexion. Ainsi, les jeunes sauront qu'en Andalousie, de 711 à 1492, et bien plus tard, il y a eu des événements, beaucoup d'événements, où musulmans, chrétiens et juifs ont eu à se rencontrer, à s'allier et à se confronter, à s'unir et à se diviser, à s'aimer et à se haïr, à se soutenir et à se médire réciproquement… Je remémore tout cela, mais je n'oublie pas de dire là où nous avons réussi - Dieu est témoin de notre bilan positif -, comme je ne vais pas occulter là où nous avons failli…, souvent lamentablement. Là aussi, l'histoire ne nous l'effacera jamais ! Deux autres livres seront publiés au courant du premier trimestre de cette année. L'un s'intitulera Les affaires étranges…, et je n'en dirai pas plus car j'en ai déjà parlé, il y a quelque temps. Je précise tout simplement qu'il sera peut-être - pour ne pas dire certainement - mon dernier écrit dans ce genre de littérature, c'est-à-dire qui concerne le domaine politique, que je veux quitter définitivement. L'autre : L'exil fécond, un roman qui analyse la situation d'une jungle où ses habitants, les animaux sauvages et domestiques, vivent leur vie dans des atmosphères souvent difficiles et délétères. Je termine le roman par l'espoir qui ne peut venir que de la part des jeunes animaux qui décideront d'aller vers la refondation du système de la jungle, au moyen de réformes profondes et non de décisions légères qui flattent les passions des animaux… Et c'est là la sentence qui explique sa publication, comme dans les fables de La Fontaine. Mais avec ça, la porte est ouverte pour d'autres idées qui se regrouperont dans d'autres écrits…, je l'espère. Entretien réalisé par Kheira Attouche