Bien qu'aujourd'hui il gère une entreprise, Hakim n'a pas honte de dire qu'il est toujours naïf, qu'il ne connaît rien à la politique et qu'il ne comprend toujours pas pourquoi il y a eu les manifestations du 5 octobre 1988. Hakim le naïf a accepté de nous raconter ce qu'il a vu et ce qu'on lui a raconté tout en affirmant qu'il n'a toujours rien compris malgré toutes les explications qu'on lui a données. Bien après les événements, on lui a dit que les manifestations avaient été préparées et organisées depuis des mois et même des années par ceux qui font la politique. On lui a dit également que les gens qui étaient informés avaient commencé à casser et voler deux jours avant le 5 octobre. Malgré sa naïveté ? Hakim a une bonne mémoire et se souvient de tout ce qu'il a vu et ce qu'on lui a raconté, c'est-à-dire les histoires tristes et celles qui font rire. On lui a rapporté par exemple que la veille du 5 octobre, des jeunes avaient déjà brisé les devantures de certains magasins de la capitale, notamment ceux appartenant à l'Etat. L'un des pilleurs du magasin de la Sonipec qui s'était installé sur le trottoir pour voir la qualité des dizaines de chaussures qu'il a volées avait constaté qu'il n'avait pris que des souliers pour le pied gauche. Alors que ceux qui se trouvaient dans le bar au 1er étage se moquaient de lui, le pilleur gauche est reparti en laissant son butin par terre. Le lendemain, la grande majorité des magasins appartenant aux sociétés nationales ont été pillés, nous raconte Hakim le naïf. L'agence allemande Lufthansa avait été saccagée, se souvient Hakim a qui on a raconté que deux jours après, l'un des pilleurs qui avait volé l'ordinateur était interrogé par les policiers. A la question du vol de la machine qui ne pouvait servir qu'aux réservations puisqu'elle était reliée à un terminal, le voleur avait répondu que c'était justement pour réserver une place pour l'Allemagne. A Hakim le naïf qui croit tout ce qu'on lui dit, on a rapporté que la matinée du 5 octobre, alors qu'un ministre en poste était sagement attablé à la cafét', un autre ministre était évacué dans une couverture par les pompiers et qu'un cadre avait fui sa maison en chemise de nuit. On lui a aussi raconté qu'un ministre qui s'était déplacé à l'hôpital Maillot pour rendre visite à un malade au summum des manifestations avait déclaré qu'il n'avait pas peur car il n'avait rien à se reprocher. On lui a raconté aussi que des jeunes sont entrés au tribunal de Bir Mourad Raïs et ont mis les tenues des magistrats avant de prendre leur place et jouer leur rôle. Hakim le naïf a également cru les gens qui lui ont dit que le président de la République de l'époque était dépassé par les événements et qu'il avait même pleuré. Hakim le naïf se souvient que le monoprix de Bouzaréah a été le dernier à être saccagé car il était présent. Malgré son âge, alors qu'il était accompagné de sa jeune cousine, il n'a pas résisté. Voyant les jeunes et moins jeunes voler des téléviseurs, des réfrigérateurs, des ustensiles de cuisine et des denrées alimentaires, il s'est mis d'accord avec sa cousine et pris des dizaines de ballons de football qu'ils ont distribués aux enfants de leur quartier. Hakim le naïf a cru tout ce qu'on lui a dit.