Récurrent, le recours au blocage des routes par des «citoyens» en colère est un phénomène relativement récent, qui a pris naissance à la fin des années quatre-vingts, dans la foulée des événements d'octobre 1988. Réfrénée par la décennie sanglante, l'ardeur des «coupeurs de route» a pris des proportions alarmantes ces dix dernières années, entraînant des préjudices économiques considérables au pays. Et pas seulement, parce que même sur le plan psychologique, les conséquences sont aussi désastreuses pour les voyageurs dont la hantise n'est plus de se retrouver face à un groupe islamiste armé, ou d'être détroussés par des bandits de grand chemin, mais d'être bloqués des heures durant sur une portion de route nationale - ou départementale - située entre deux villes, par la faute de quelques citoyens mécontents. Ce qui vient d'arriver sur la RN5, près de Boudouaou, en est l'illustration parfaite : d'un côté, des émeutiers en furie, qui contestent les peines prononcées par la justice à l'encontre de quelques-uns des leurs, coupables d'avoir coupé la même route il y a quelques semaines à peine, de l'autre des milliers de voyageurs se rendant dans les régions de l'est du pays, empêchés de rentrer chez eux la veille d'une grande fête religieuse. Au-delà des appréciations que l'on peut se faire des revendications des contestataires, couper la route de manière délibérée pour empêcher la libre circulation des centaines de milliers de personnes, ne peut s'assimiler autrement qu'à un odieux chantage que réprouve et la loi et la morale, quand bien même les émeutiers à l'origine de cet acte seraient pleinement convaincus de la légitimité de leurs revendications. Sûrement, si les autorités locales et les entreprises assurant des missions de service public (distribution de l'eau, du gaz et de l'électricité) avaient pris à bras le corps les problèmes, nombreux, dans lesquels se débattent depuis des lustres les habitants de ces nombreuses cités inachevées, à l'image de Ben Merzouga, le quartier par où est partie l'émeute, on n'en serait jamais arrivé à des situations extrêmes imposant, en dernier recours, l'appel à la force publique pour dégager la route. Car des griefs, il y en a beaucoup à l'encontre de l'APC et la daïra de Boudouaou et les différents services de la wilaya de Boumerdès, qui n'ont pas su -ou voulu - écouter les doléances de citoyens livrés à eux-mêmes et à la furie des éléments naturels. Habiter à Ben Merzouga, c'est comme qui dirait faire un bond de plusieurs siècles en arrière tant il manque aux habitants l'essentiel de ce qui fait la vie moderne. Le cas de Ben Merzouga est caractéristique de la gestion chaotique de nos communes. Moins les gens réclament, plus ils sont ignorés par leurs élus et l'administration censée être à leur service exclusif. Plus ils se montrent osés, et ils le montrent souvent en bloquant les routes ou en fermant les sièges d'administrations publiques, quand ils n'y mettent pas le feu, moins ils sont déconsidérés. Aussi, le recours devient systématique à cette forme de contestation pour la facilité de sa mise en œuvre et pour son impact spectaculaire sur l'opinion. Les habitants de nombreux villages traversés par la RN5 se sont d'ailleurs servis de cette arme pour amener leurs élus à mieux considérer leurs revendications. Des citoyens d'Ath Vouali, Tizi Kechouchène et d'autres villages limitrophes disséminés dans la vallée de la Soummam ont usé de ce procédé, qui pour la construction d'une école, qui pour l'alimentation de leurs demeures en gaz de ville et en eau potable. Tant et si bien qu'il n'est plus question aujourd'hui d'adresser une pétition ou une requête à l'Autorité, mais de «couper la route aux conteneurs». Entre les deux méthodes, c'est malheureusement qui a le plus de chance d'aboutir. Rapidement d'ailleurs.