Quoique profondément meurtrie par les événements sanglants des années 1990, la région de Chlef donne tout l'air aujourd'hui d'être relativement désintéressée par la campagne pour le référendum du 29 septembre, que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, viendra promouvoir ce jeudi, lors d'un meeting qu'il animera dans l'enceinte du stade olympique Mohamed Boumezrag, en présence des participants des wilayas de Chlef, Aïn Defla, Médéa, Relizane, Tiaret et Tissemsilt. Comparée aux campagnes politiques précédentes, celle pour le « oui » à la charte pour la paix et la réconciliation nationale demeure trop plate et l'on se demande si les Chélifiens sont à ce point fatigués des effets d'annonce des uns, ou carrément désabusés par les promesses récurrentes des autres. On est loin de l'enthousiasme et des scènes de liesse qui avaient marqué la scène locale avant même l'élection présidentielle d'avril 2004. On évoque le sujet sans conviction ni connaissance exacte de son contenu. Seules les administrations publiques, commandées à cet effet, s'agitent pour mobiliser leurs effectifs que l'on s'apprête à acheminer par trains et par bus, réquisitionnés à partir de toutes les wilayas concernées. On parle de 700 cars mobilisés au niveau de la seule wilaya de Chlef. Rendez-vous a été ainsi donné aux participants pour rallier la capitale du Cheliff dès 6 h et prendre place dans les tribunes du stade où le chef de l'Etat fera son discours. La radio locale, média dit de proximité, a été aussi mise à contribution pour tenter de mobiliser le maximum de foules. Le programme diffusé à longueur de journée est axé principalement sur la charte en question et ses « bienfaits pour la population ». La ville a fait l'objet d'une vaste opération d'embellissement et tout le monde au sein des institutions locales s'affaire à donner un visage « plus accueillant » au centre-ville et aux autres sites abritant les projets socio-économiques que le président de la République visitera dans l'après-midi, à l'image du nouvel aéroport, du musée, de la station d'épuration des eaux usées et du nouveau pôle universitaire. Beaucoup de citoyens semblent donc désintéressés, d'une manière ou d'une autre. La preuve : rares sont ceux qui se sont donné la peine de lire le décret portant charte pour la paix et la réconciliation nationale. « A quoi bon de s'intéresser à tout cela lorsqu'on sait que nos conditions de vie ne cessent de se dégrader faute d'une prise en charge sociale et économique. Et on ne sait pas ce que la réconciliation promise va nous offrir... », nous dira un groupe de jeunes. En un mot, la population attendait une solution globale à ses préoccupations dans le cadre de l'option d'Abdelaziz Bouteflika. Cependant, la déception est à la mesure de l'attente car les problèmes majeurs ne font que s'accumuler en l'absence de solutions concrètes. Même si beaucoup de projets ont été lancés ces derniers temps, la situation reste très préoccupante en matière notamment d'emploi, de logement, de route et de santé. Naïvement, certains citoyens s'attendent à l'annonce par le président de la République, au cours de son meeting, « de mesures d'éradication du patrimoine en préfabriqué constitué de 18 000 logements construits après le séisme d'octobre 1980, principalement au chef-lieu de wilaya et dans la commune voisine de Chettia ». Une décennie ravageuse Selon un recensement officiel, il existe plus de 15 000 constructions précaires installées, pour la plupart aux alentours des chefs-lieux des communes. Leurs occupants ont fui les exactions terroristes et la misère qui caractérise leurs douars respectifs. C'est là l'une des conséquences de la décennie noire qui a été particulièrement ravageuse sur les plans humain et matériel. On dénombre, en effet, pas moins de 4500 civils assassinés par les groupes armés, sans compter les nombreuses victimes dans les rangs des services de sécurité. La wilaya compte également près de 5000 patriotes ayant combattu le terrorisme aux côtés des forces de l'ANP et des brigades antiterroristes depuis l'apparition de ce fléau dans la région. La plupart d'entre eux ont été mis à la porte une fois la loi sur la concorde civile adoptée. Leur chef, un député RND, s'occupe de ses affaires à Ténès, tournant carrément le dos à ses compagnons d'arme d'hier. Le sentiment de désillusion est nettement perceptible chez les rescapés, les proches des victimes et cette catégorie de résistants qui vivent dans des conditions particulièrement difficiles. Oubliés, marginalisés et livrés à eux-mêmes Ils ont le sentiment d'avoir été oubliés, voire marginalisés, après avoir perdu des êtres chers et livré, des années durant, une lutte sans merci aux terroristes afin de permettre à l'Algérie de rester debout, selon leurs dires. « Comme récompense, on a été jeté aux oubliettes sans aucun statut ni respect pour les morts et les sacrifices consentis pour sauver notre pays. Beaucoup de familles de patriotes et de citoyens assassinés par les groupes armés vivent dans le dénuement le plus total. Même la charte initiée et défendue par le président de la République a fait l'impasse sur nos droits légitimes », déclarent des patriotes, dont certains ont même été désarmés, affirme l'un d'eux qui a préféré garder l'anonymat pour des raisons évidentes. « Non seulement on nous a remerciés sans nous accorder aucune ressource mais, en plus, on veut nous jeter en pâture aux terroristes », dira-il avec amertume. D'autres voix, en revanche, se sont montrées favorables au référendum du 29 septembre, estimant que « la réconciliation va consolider la paix et la sécurité dans le pays ».