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La France prise au piège de sa stratégie au Sahel
Lutte contre AQMI
Publié dans Le Temps d'Algérie le 20 - 11 - 2010

La France est, aujourd'hui, prise au piège de sa propre stratégie qu´'elle a envisagée de mettre en œuvre au Sahel pour prévenir, exclusivement, la prise en otage des ses ressortissants qui fréquentent, pour une raison ou une autre, le Sahel, et protéger surtout ses intérêts d'ancienne puissance coloniale de la région sahélo-saharienne.
Sa plus grande maladresse a été de convoquer une conférence internationale conjointe entre les pays du G8 et les Etats du Sahel, en plus du Maroc.
Court-circuiter Alger
Officiellement, c'était pour impulser la lutte contre Aqmi, aux côtés des Etats-Unis, mais, en réalité, l'objectif était ni plus ni moins que de court-circuiter la mise en place par l'Algérie d'un commandement des états-majors des pays de la ligne de front. Le gouvernement algérien avait refusé de donner son accord à cette hasardeuse initiative qui intervient, il faut le souligner, au lendemain de la prise d'otage par Al Qaïda pour le Maghreb Islamique (Aqmi) de cinq ressortissants français, dans le nord du Niger.
Le gouvernement algérien, qui n'a pas répondu à l'invitation du G8, avait averti alors que la conduite des opérations militaires au Sahel par les puissances occidentales était le meilleur moyen de «légitimer» l'action terroriste des groupes islamistes contre les forces étrangères. Pour Alger, il revient aux pays de la région et eux seuls de s'organiser pour mener, conjointement, la lutte contre Aqmi.
Les pays occidentaux pouvaient, dans ce cadre, comme le font les Etats-Unis, apporter un soutien logistique aux Etats les plus ciblés, à travers le renseignement et la formation de leurs troupes.
L'Algérie a, également, balisé la coopération anti-terroriste par le refus de céder aux exigences du terrorisme. Elle a porté ce combat jusqu'aux Nations unies où ses arguments visant à criminaliser le paiement des rançons ont fait l'unanimité, en attendant que le Conseil de sécurité adopte une résolution sanctionnant ces comportements.
La solution la plus commode
Paris, comme la plupart des pays d'origine des Européens qui sont enlevés régulièrement depuis 2002 au Sahel, espérait avoir recours, à nouveau, à la solution la plus commode pour obtenir la libération de ses cinq ressortissants aux mains d'Aqmi. Sitôt connue l'annonce de l'enlèvement des cinq Français dans le nord du Niger,
en octobre, l'ex-ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, n'avait pas hésité, un instant, à faire activer les réseaux d'intermédiaires maliens pour entrer en contact avec les ravisseurs.
Alger mais aussi Washington et Londres avaient averti alors que ce n'était pas la bonne voie. Aqmi pouvait, du point de vue algérien, relancer les enchères et réclamer, comme elle l'avait fait pour la libération des deux otages français en février, qu'elle détenait depuis septembre 2009, en plus du paiement d'une forte rançon, la remise en liberté des dizaines de ses membres qui sont emprisonnés en Mauritanie. Le prix fort que l'Elysée serait prêt à payer pour obtenir des gouvernements de Nouakchott et de Bamako, usant à la fois de pressions et de corruption.
Aqmi relance les enchères
Alger a vu juste. Aqmi ne se suffit plus des paiements de rançons qui lui ont permis de rassembler la colossale somme de 27 millions d'euros en quelques années, en plus des impôts prélevés sur le convoyage du trafic de drogue vers l'Europe depuis et à travers le Maroc. Elle ne se contente plus de réclamer ce qui est acquis à ses yeux, outre l'argent, la libération de ses membres. Elle vient de placer la barre encore plus en visant à consacrer la «légitimité» d'Al Qaïda sous l'autorité d'Oussama Ben Laden.
C'est exactement le sens du message adressé, ce week-end, par Aqmi à la France, l'invitant à «négocier» la libération de ses cinq ressortissants pris en otage dans le nord du Niger avec Oussama Ben Laden. Les interlocuteurs des pays occidentaux ne seront plus ses «lieutenants» au Maghreb et au Sahel, Abdelkader Droudkal, Abdelhamid Abu Zeid ou Mokhtar Benmokhtar.
Depuis qu'Aqmi a vu le jour sous cette appellation à la suite de l'acte d'allégeance à Al Qaïda exprimé en 2007 par l'ex-GSPC algérien, Ben Laden semblait avoir laissé l'initiative provisoire à ces «nouvelles branches régionales» du terrorisme qui sont apparues au Sahel, dans la Corne de l'Afrique, au Yémen, en Irak et au Pakistan. Aux yeux de la hiérarchie d'Al Qaïda, le comportement de ces satellites aurait largement «dévié» des objectifs «islamistes» qui sont à l'origine de la création de cette organisation terroriste.
«Ressourcement idéologique»
La France, l'Espagne, l'Allemagne et les pays occidentaux qui ont accepté de payer sans hésiter ont contribué au départ à relancer les activités d'Aqmi, avec la multiplication des prises d'otages depuis 2002 qui prenaient tous les aspects du grand banditisme et de la criminalité au Maghreb et au Sahel. Un adversaire plus facile à combattre idéologiquement par les Etats de la région. Par leur présence dans le Sahel, la France et ses alliés donnent l'occasion à Aqmi d'inscrire son action sur un terrain plus idéologique.
A travers le message adressé à Paris, Al Qaïda pourrait avoir annoncé un changement radical dans sa stratégie de prise de décision. Son objectif, comme le craignait le gouvernement algérien, est de voir Ben Laden consolider son autorité sur ses bases les plus lointaines au Maghreb et au Sahel qui agissaient, jusque-là, en son nom, en jouissant toutefois d'une large autonomie d'action.
Mieux, Al Qaïda semble avoir entrepris de «ressourcer» dans l'idéologie salafiste tous ces groupes qui avaient peu d'attache au départ avec l'islamisme politique. La France aura réussi l'exploit de dérouler le tapis sous les pieds d'Al Qaïda dans sa longue marche vers le Maghreb.
La déclaration de Mme Alliot-Marie, refusant tout dialogue de la France avec les Al Qaïda, est une bonne réponse au message d'Al Qaïda mais qui intervient peut-être un peu tard. Son prédécesseur aux affaires étrangères, Bernard Kouchner, avait déjà jeté les bases de ce dialogue avec l'organisation de Ben Laden lorsqu'il s'était rendu, le 14 décembre 2009, dans le plus grand secret à Bamako pour satisfaire aux conditions posées par les terroristes.


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