Ancien ministre de la Culture et de la Communication, enseignant et ex-diplomate en poste à Madrid, Abdelaziz Rahabi restitue dans cet entretien les enjeux qui entourent la dernière activité diplomatique algérienne. Liberté : Comment expliquez-vous, M. Rahabi, la poussée de fièvre entre Alger et Paris ? Abdelaziz Rahabi : On est tenté de répondre qu'elle est récurrente par nature et cyclique par la volonté des hommes politiques. Comme nous ne pouvons pas avoir le même capital mémoriel, rien n'est donc spontané entre nos deux pays. Pour preuve, l'histoire commune, dans sa dimension la plus douloureuse, est convoquée à chaque fois qu'il y a problème. Ce qui vient de marquer le dernier séjour médical du président de la République, tout en étant des plus futiles, n'en est pas des moins représentatifs. Doit-on dès lors tout construire sur la mémoire ? En tenir compte, mais ne pas en être l'otage. Cela suppose que la France officielle assume clairement son histoire d'ancienne puissance coloniale et que l'Algérie envisage l'avenir autrement que par rapport à son passé de colonisée. Nous sommes un peuple qui doit être au premier rang, nous devons en conséquence envisager les choses en fonction exclusivement des intérêts supérieurs de la nation. L'ambition des hommes, fussent-ils sincères, ne doit pas contrarier le cours de l'histoire, car en réalité, seule la qualité des relations entre nos deux peuples articule et imprime le véritable rythme du processus de refondation des relations algéro-françaises. Y a-t-il de la surenchère dans cette passe d'armes de part et d'autre de la Méditerranée, où l'on s'apprête à des rendez-vous électoraux ? Vous savez, il y a une grande part d'irrationnel dans la politique et souvent on commet des erreurs par rancune. Les hommes politiques, dans les deux pays, font à mon avis une erreur d'appréciation en pensant que les problèmes bilatéraux représentent des enjeux de politique intérieure à Alger et à Paris. L'élection du président Liamine Zeroual en 1995 a été l'exception qui confirme la règle. L'Algérie n'a pas, à l'instar d'Israël ou encore du Maroc, un lobby puissant en France en mesure d'infléchir des attitudes hostiles à notre pays ou de favoriser un courant favorable à nos thèses. La France non plus, et à l'exception de la parenthèse heureuse de sa courageuse attitude sur l'invasion de l'Irak, n'a pas suffisamment investi dans la société civile algérienne. Le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, a déclaré récemment à Washington que “la France n'a pas le même poids en Algérie que les Etats-Unis”. À votre avis, vrai constat, sentiment de dépit vis-à-vis de la France, surenchère ou nouvelle orientation stratégique ? Nos intérêts nous recommandent d'avoir les meilleures relations avec tout le monde, c'est la raison d'être même d'une diplomatie et le gage de la prise en compte par la communauté internationale de ses positions en politique étrangère. De même qu'il serait présomptueux de mettre en contradiction les USA et la France sur le dossier Algérie. Ce qui les unit est bien plus important. Il est vrai que chacune des deux puissances a des atouts en Algérie, mais les Américains sont sérieusement handicapés par leur alignement inconditionnel sur Israël et l'invasion de l'Irak. Au-delà de sa teneur, l'accord avec la Russie qui a fait couler beaucoup d'encre obéit-il à quelques considérations stratégiques ? C'est un partenaire traditionnel et tenant compte du fait que l'effondrement du bloc soviétique a été immédiatement suivi de la violence terroriste chez nous, on mesure aisément le poids de ces deux décennies dans le retard à rattraper dans le domaine. Il ne faut pas également négliger la donne régionale : tout le monde s'est lourdement équipé au moment où nous devions adapter notre armée aux exigences de la lutte antiterroriste. Il y a donc nécessairement un travail d'adaptation, de modernisation et de professionnalisation ouvert d'ailleurs à la coopération avec tous les partenaires, pas uniquement la Russie. Comment appréhendez-vous l'évolution de la situation au Sahara occidental à la lumière du dernier rapport du secrétaire général de l'ONU ? Il y a incontestablement dans ce rapport tous les éléments d'un consensus obtenu par le noyau dur composé de la France, la Grande-Bretagne et l'Espagne destiné à éviter au Maroc le passage obligé du référendum d'autodétermination. Si Kofi Annan n'est pas en mesure d'assurer sans contrainte ce mandat, quelle est l'utilité alors de laisser cette question aux mains de l'ONU, surtout si elle venait à recommander des formules proposées par la force d'occupation ? Je crains que l'absence de perspectives diplomatiques rende le recours aux armes inéluctable d'autant que certaines initiatives dans le Sahel laissent penser que les concessions du SG de l'ONU ne relèvent pas de l'acte isolé. K. K.