Qui est responsable de la mort des 16 marins du Béchar ? C'est la question à laquelle ont tenté de répondre les 12 avocats des principaux inculpés dans cette affaire. Le PDG de la Cnan était le premier inculpé à passer à la barre. Condamné à 15 ans de prison et ayant purgé six longues années, ce dernier a, en réponse aux questions du président de l'audience, le juge Boubatra, usé d'arguments tendant à démonter les accusations et la responsabilité dans le naufrage du Béchar. «Le bateau n'avait pas besoin de permis de navigation vu qu'il présentait des avaries et qu'il s'apprêtait à se rendre au chantier naval de Béjaïa pour y subir une révision et une expertise», devait répondre le PDG, ajoutant que «le Béchar n'était pas en haute mer». Ce qui a conduit maître Amara Mohcene à confirmer que «la responsabilité du naufrage n'incombe pas au PDG». Il est utile de préciser que sur ce volet, le Béchar était en rade depuis le 15 juin et «n'avait donc pas besoin de ce certificat qui est délivré exclusivement à des bateaux devant prendre la mer». Sur cette question, maître Brahimi devait affirmer que «ce certificat est délivré au même titre qu'une assurance délivrée à un véhicule automobile» pour signifier que «cette assurance n'est pas utile lorsque l'automobile est à l'arrêt». Durant les premières audiences, les magistrats, se basant sur les pièces contenues dans le dossier, semblaient vouloir diriger les débats vers la négligence. Sur ce point, autrement dit à propos de la responsabilité civile et pénale, bon nombre d'avocats, d'observateurs et autres n'ont pas hésité à dire que «les inculpés de cette tragédie due essentiellement aux aléas climatiques et au déchaînement des éléments naturels devraient être traités au même titre que les responsables des autres calamités ayant touché l'Algérie». «Pourquoi aucun responsable n'a été inquiété à l'issue des évènements de Bab El Oued qui se sont soldés par le décès de 1000 personnes ou du tremblement de terre dont le bilan était bien plus dramatique ?», se sont interrogé tous les avocats, notamment maître Bourayou. Cette première audience a été marquée par un incident qui a contraint le juge à la suspendre. C'est lorsque maître Amara fut durement rappelé à l'ordre par le juge qui, à son tour, fut épinglé par maître Brahimi qui le mit en garde contre ce qu'il a appelé «des intimidations», que celui-ci décida de cette suspension. Cela dit et selon l'avis des uns et des autres, «ce procès prend une tournure de parodie de justice cachant des non-dits politiques». «Les véritables coupables ne sont pas dans la salle !» C'est ce qu'avait martelé maître Aït Larbi Mokrane dans une plaidoirie axée sur la responsabilité et ses diverses formes. «La justice doit être garante des libertés et des droits», devait-il dire, rappelant que le procureur avait reconnu l'irréprochable personnalité des cinq cadres inculpés. «Pourquoi alors demander la perpétuité ?»", dira-t-il, ajoutant : «Sont-ils des criminels ?» Observant un temps d'arrêt, il surprit l'assistance en déclarant : «Les véritables coupables ne sont pas dans la salle», faisant allusion aux gardes-côtes chargés de l'assistance et des secours des navires en détresse. Maître Aït Larbi a tenté de replacer le drame dans son véritable contexte : «Vous parlez du naufrage d'un navire et vous vous efforcez de condamner les cinq cadres, mais qui est responsable de la mort des seize membres d'équipage ?» L'avocat parla de responsabilité pénale indiquant que «la loi place les cinq inculpés hors de portée». Il devait rappeler certains aspects de l'enquête en se posant la question suivante : «Comment la Gendarmerie nationale, en charge de l'enquête, a-t-elle dressé un PV en moins de temps et comment la chambre d'accusation a-t-elle retenu les chefs d'inculpation en 70 jours (24 janvier 2005) ?», indiquant en ce sens que cette affaire était sortie du cadre de la justice et que le temps a été utilisé par des forces insoupçonnées pour trouver le maillon faible qui servira de bouc émissaire. Sur ce, il clama l'innocence des inculpés, indiquant qu'«il n'y a aucune preuve prouvant la responsabilité des inculpés» Il releva l'absence d'expertise devant être exercée a posteriori sur l'épave et qui, à la lecture des indices relevés, pouvaient conduire les enquêteurs sur la vraie voie. Les gardes-côtes cloués au pilori Il devait indiquer également que «le traitement de cette affaire s'éloigne des principes de justice et d'équité». Après avoir prouvé que le navire Béchar était en rade (en mouillage), il devait soulever la question occultée jusque-là : «N'était-il pas prioritaire de sauver l'équipage ? Où sont les services concernés ? Pourquoi l'Algérie a appelé l'Espagne au secours ? Pourquoi les responsables des gardes-côtes ne sont-ils pas cités dans cette affaire ?» Il indiqua aussi que «personne n'a eu le courage nécessaire d'incriminer les services parce que relevant de l'institution militaire, bien que leur défaillance est plus qu'évidente». L'avocat rappela les décrets présidentiels (30 sept 1995) déterminant la responsabilité (article 2 du JO n°57, article 8 définissant et obligeant les services et commissions de secourir les marins en mer et leur permettant de recourir aux moyens aériens), affirmant ceci : «Pourquoi occulter ces textes qui responsabilisent les vrais coupables de la mort des 16 marins, pourquoi condamner des personnes pour le naufrage d'un navire et ne pas poursuivre les personnes qui, par leur négligence, ont causé la mort de 16 marins ?» «Il y a eu négligence de ces services de secours et la justice doit ester ces derniers», dira-t-il avec force, avant d'ajouter que «la vie des hommes est bien plus importante que les navires». Il indiqua que «les responsables à tous les niveaux devraient démissionner car le drame s'est déroulé sous leur fenêtre». Il surprendra l'assistance en interpellant la justice sur le décès de la mère de Koudil suite à son incarcération: «qui est responsable de la mort de cette mère ?». Maître Chorfi clôtura les plaidoiries en axant son discours notamment sur la légèreté du traitement de ce dramatique dossier. Au moment où nous mettons sous presse, les délibérations se poursuivent.