Après s'être engagé à faire la lumière sur le tragique naufrage du Béchar et l'échouage du Batna au port d'Alger ayant coûté la vie à 16 marins, le 13 novembre 2004, le ministère des Transports s'est gardé de rendre publiques les conclusions de l'enquête administrative que l'opinion publique, notamment les familles des victimes, attend avec impatience. Selon les avocats de la Cnan, le rapport de cette enquête a été remis au juge avant même que celui de la Gendarmerie nationale ne soit déposé sur le bureau du procureur général près la cour d'Alger, il y a trois semaines. Les deux rapports, selon toujours la même source, ont incriminé toutes les parties impliquées dans les secours en milieu marin, en l'occurrence l'EPAL, les gardes-côtes, la capitainerie et le Centre national des opérations de secours (Cnos). Le rapport judiciaire de la gendarmerie a conclu, entre autres, à l'homicide involontaire et à non-assistance à personnes en danger. Néanmoins, à ce jour, seuls les dirigeants de la Cnan semblent porter le chapeau, puisque le PDG et quatre de ses cadres ont été mis sous mandat de dépôt ; cinq autres cadres ont été, quant à eux, mis sous contrôle judiciaire et cinq autres en liberté provisoire. Hier matin, les avocats des cinq dirigeants de la Cnan ont plaidé devant la chambre d'accusation pour l'appel qu'il ont interjeté contre le mandat de dépôt en demandant son annulation. Pour la défense, cette décision « n'est pas motivée » si l'on se réfère à l'article 123 du code de procédure pénale. « Cet article pose comme action principale le maintien des inculpés en liberté et comme exception leur détention provisoire si les conditions contenues dans ce même article aliénas 1, 2, 3 et 4 ne sont pas respectées. Dans le cas d'espèce, chacun des inculpés est censé avoir une adresse fixe, un travail et surtout n'avoir jamais eu affaire à la justice », a déclaré Me Benbrahem, membre du collectif des avocats de la Cnan. Elle a indiqué que la mise en détention préventive est nécessaire « lorsque les inculpés refusent de se soumettre à une mesure intermédiaire, à savoir le contrôle judiciaire. De plus, la manifestation de la vérité ne peut se faire que si les cinq inculpés sont à l'extérieur où ils disposent des preuves de leur innocence ». UN VICE DE PROCÉDURE L'avocate a précisé, par ailleurs, que les conclusions du rapport d'enquête de la commission administrative installée par le ministre des Transports quelques jours seulement après la tragédie du 13 novembre 2004 « sont en faveur des dirigeants de la Cnan et font état de la responsabilité des services de la météo, de l'Epal qui ne disposaient pas de matériel pour procéder au sauvetage des bateaux, du Cnos, des gardes-côtes et de la capitainerie. L'article 176 du code maritime stipule que les missions de sauvetage et de secours relèvent du service du pilotage (Epal) et de la capitainerie. De ce fait, la Cnan ne peut être que le demandeur de secours et non l'exécuteur d'autant qu'elle paie annuellement des montants colossaux à l'Epal pour ces mêmes prestations ». Après cette longue plaidoirie et la délibération qui a duré près de cinq heures, la chambre d'accusation a rejeté la demande de mise en liberté provisoire, maintenant donc le PDG et les quatre cadres de la Compagnie nationale de navigation en détention préventive. A signaler que les avocats de la Cnan ont relevé un fait intrigant qui pourrait faire l'objet d'un vice de procédure. Le magistrat instructeur chargé de cette affaire occupe, selon eux, deux postes antagonistes, celui de président de la chambre d'accusation et de la chambre pénale. Or il est de notoriété qu'un juge qui instruit une affaire ne peut la juger puisque c'est au juge du siège qu'incombe cette mission.